17.7.06

Frissons matinaux

Pendant que tu m’oublies dans tes rêves candides
Au pays silencieux de tes espoirs nombreux,
Je hante ton sommeil d’un tourbillon fiévreux
De secrètes pensées pétries de joie limpide.

Dans le jardin obscur où tes nuits se dévident,
J’arrache les chardons de tes doutes affreux
Avant de déverser un torrent vigoureux
De désirs qui noieront ta tristesse perfide.

Dans ta chambre envahie de tes dessins d’enfant,
Je sème allégrement un bouquet triomphant
D’ardentes voluptés imprégnées de tendresse.

Doucement éveillée par les lumières d’or
D’un soleil matinal débordant de promesses,
Tu souris aux frissons qui germent sur ton corps.

Fleur de macadam

Lascivement drapée d’un poisseux maquillage
Qui cache le dégoût niché dans son regard,
Elle aguiche les gars au coin du boulevard,
Sous les yeux des condés planqués dans les parages.

Experte patentée dans l’art du racolage,
Insensible aux jurons des gosses goguenards,
Elle s’offre aux clients qu’un relent de cafard
Jette subitement loin de leur femme sage.

Lorsque son souteneur lui vole son argent,
Elle espère en secret le secours des agents,
Enchaînée au poison qui réchauffe ses veines.

Dans les ombres ténues du brouillard matinal,
Elle entrevoit l’espoir d’une évasion prochaine
Loin de la cruauté de ce monde infernal.

Jeu d’échecs

Pour jouer aux échecs, prenez un partenaire
Bête à manger du foin. Donnez à l’indolent
Un verre de vin rouge et choisissez les blancs.
Avec ces ingrédients, vous gagnerez la guerre.

Éloignez votre roi des griffes lapidaires
De la reine ennemie puis attaquez les flancs
Des noirs paralysés par vos coups excellents.
Décimez sans pitié les rangs de l’adversaire.

Afin de dominer fermement l’échiquier,
Piquez au camp rival les pions, les cavaliers,
Les fous, les tours, la reine, et sonnez la victoire.

Concluez en matant le roi inoffensif
Dont la chute cinglante étendra votre gloire
Aux dépens du crétin à l’œil admiratif.

Tic tac

Tic tac, murmure discret.
L’horloge me regarde tristement comme pour me reprocher de tuer le temps. Ses notes cristallines se brisent sur le ressac de ma fuite en avant.

Tic tac, musique monotone.
Je compose un poème mais cette musique indécente s’immisce entre mes vers et moi, miroir de ma futilité, masque horrible figé en un rictus moqueur, torture assassine distillant le poison du doute dans mes veines brûlantes.

Tic tac, vacarme assourdissant.
J’écris « tic tac » et je tourne la page. Dans une danse frénétique, symbole dérisoire d’une pureté éphémère, les jambes de la pendule s’agitent au son d’un hymne infernal.

Tic tac, obsession fatale.
Les aiguilles du temps brûlent ma raison lors d’un concert ultime d’accords torturés aux frontières de l’absurde. Le temps n’existe pas, il se balance en équilibre fragile entre passé et futur. Une goutte de temps s’écoule à un rythme imprévisible et s’étire, élastique, entre néant et éternité.

Tic tac, soumission dérisoire.
L’horloge égorge les mots un à un, ne me laisse que « tic tac ». Avec ces deux syllabes, vocabulaire final, je compose mon dernier poème, oraison incongrue, « tic tac ».

14.7.06

Jeu de dames

Sur la toile du Net se promènent des dames
Dont l’esprit acéré, rusé comme un fennec,
Me balade en bateau pour me mettre en échec
Sur l’immense échiquier de nos vains mélodrames.

Pauvre pion ballotté par les bobards infâmes
De poupées trafiquées dont les prises de bec
Dévoilent prestement les sentiments plus secs
Qu’un désert africain, je m’écorche à leurs lames.

Au royaume maudit des plaisirs marginaux,
Des fées sophistiquées, vêtues de dominos,
Jouent mon cœur exalté à la roulette russe.

Les reines enragées qui me donnent le mat
Déploient sournoisement un écheveau d’astuces
Afin de s’abriter des ravages d’un pat.

Réconfort champêtre

L’innocence volée dans le fond d’une grange,
Enfance calcinée, comment croire en demain,
Imaginer des fleurs sur un radieux chemin,
La chaleur d’un regard, le chant d’une mésange ?

Mes tristes souvenirs aujourd’hui me dérangent,
Le corps de mon bourreau, sa peau de parchemin,
L’éclat de ses yeux noirs, la force de ses mains.
Je voudrais m’envoler, emportée par un ange.

La nature m’apaise et m’offre son abri.
Quand le jour s’est enfui, la lune me sourit.
Un parfum délicat m’enivre et me console.

Dans ce précieux écrin, je vais au gré du vent.
Si je suis égarée, au lieu d’une boussole,
Je consulte le ciel et le soleil levant.

Vénus désabusée

Vénus, dans son berceau, sourit à sa marraine,
La bonne fée venue apporter la beauté
Au bébé rubicond, occupé à téter
Sous le regard brûlant de son grand-père obscène.

La fière adolescente, au teint de porcelaine,
Déclenche un tourbillon de désirs tourmentés
Dans le cœur des garçons dont la timidité
Transforme la candeur en fébrilité vaine.

La magnifique adulte, au buste généreux,
Sourde à la jalousie de son amant fiévreux,
Assouvit goulûment ses impulsions frivoles.

La vieille solitaire au visage flétri,
Que la férocité de son déclin désole,
Fracasse son miroir en conciliants débris.

Vénus bienfaitrice

Afin de s’éloigner des sordides querelles
Que déclenchent les dieux pour tromper leur ennui,
Vénus, sans dire un mot, s’envole cette nuit
Vers la Terre insensible aux haines éternelles.

La déesse, étonnée par la laideur cruelle
Des silencieux mortels, les plonge dans un puits
De subtile tendresse, où macèrent des fruits
Dont le parfum leur donne une grâce nouvelle.

Vexés par leur beauté, les puissances des cieux
Exhortent les humains au visage radieux
À enfermer leur reine au fond d’une cellule.

Les hommes révoltés prennent soudain les armes
Pour défendre leur fée, sous les yeux incrédules
Des maîtres du destin, envoûtés par leur charme.

13.7.06

Vénus

Une étrange beauté émergeant du néant,
Ornée de perles d’eau empruntées aux nuages,
Secoue sa chevelure où s’amorce un orage
Qui plonge l’univers dans un trouble géant.

Quand la Terre bascule au fond d’un puits béant,
Un éclair insolent révèle le visage
De Vénus apparue pour laver les outrages
Des sinistres humains aux désirs malséants.

Elle exhorte d’un signe un indolent soleil
À briller ardemment pour hâter le réveil
Des mortels alanguis sur la rive des rêves.

Sous les rayons vermeils des astres embrasés,
La déesse sourit aux hommes qui se lèvent,
Avant de s’envoler dans un ciel apaisé.

Vénus lascive

Dès qu’elle ouvre les yeux, le blanchâtre matin
Exhorte le soleil aux lumières timides
À embraser son corps dont les courbes splendides
Arborent fièrement leur robe de satin.

Dans les joyeux éclats de son rire argentin,
Vénus nue, insensible au temps qui se dévide,
Secoue lascivement, sous mon regard avide,
Les boucles veloutées de ses cheveux châtains.

Quand sa pose alanguie, en silence, m’invite
À couvrir de baisers son ventre qui palpite,
Je sème sur sa peau de rayonnants frissons.

La vague de désirs qui fond sur ma déesse
Avive sa beauté d’une telle façon
Que j’invente un faisceau d’insolentes caresses.

Vénus des abribus

Vénus des abribus au vieux blue-jean cradingue,
Tu balades ton clebs en tordant tes talons,
Sous les yeux enflammés de jeunes apollons
Qui rêvent d’arracher tes impayables fringues.

Princesse du goudron, tu planques ton burlingue
Dans l’étroite prison d’un futal en nylon
Pour capter le regard de fringants étalons
Dont le torse musclé te donne une envie dingue.

Reine de la banlieue aux tifs poisseux de gel,
Tu défends ta tribu à grands coups de scalpel,
Grisée par ta fureur de zonarde amazone.

Déesse des cités, tu hantes les parkings
Avec de fiers voyous aux pognes polissonnes,
Adroits à titiller tes excitants piercings.

Vénus champêtre

Vêtue d’un pull moelleux, Vénus, à la campagne,
S’active sans répit, dès que le coq lointain
Déchire de son chant le silencieux matin
Pour prier le fermier de nourrir ses compagnes.

Dans l’écrin parfumé de sa vie de cocagne,
La princesse des champs, à la peau de satin,
Offre aux ailes du vent ses longs cheveux châtains,
Si bien qu’un doux frisson de liberté la gagne.

Les oiseaux des forêts célèbrent sa beauté
En gazouillant des airs aux accents de l’été,
Tandis que le jasmin jaillit sur son passage.

La déesse des prés, dont les fermes rondeurs
Enflamment les désirs des hommes du village,
Réserve sa tendresse à la fée de son cœur.

7.7.06

J’ai grandi en ville

J’ai grandi à l’étroit dans la fureur des villes
Où le béton compose un tableau de rancœurs
En graffitis sanglants aux messages vengeurs,
La poésie urbaine éclate en mots hostiles.

J’ai appris à marcher près des automobiles,
Ornements citadins qui remplacent les fleurs.
Les bourdonnants rubans de taches de couleur
Défilaient sous mes yeux, sournois comme un reptile.

J’ai connu la violence et les tristes leçons
Que donnent dans la rue les bandes de garçons,
De menace en affront, j’ai forgé mon armure.

Mon esprit solitaire oubliait les parpaings,
Ma vie imaginaire embaumait la nature,
Je rêvais de jardins, de torrents, de sapins.

J’ai grandi à la campagne

J’ai grandi parmi la verdure
Entre des jardins et des prés,
Une rivière et des fourrés,
Bercée par la douce nature.

J’ai connu l’aurore câline,
Le parfum des bottes de foin
Et la bonne gelée de coings
Qui venait fleurir mes tartines.

J’ai appris à soigner les plantes,
Les vignes de notre terroir.
L’odeur de l’herbe dans le soir
Lançait ses notes flamboyantes.

J’ai vécu près des mirabelles
Dans un village haut en couleur
Entre la tendresse des fleurs
Et la chanson des hirondelles.

Je dis l’enfance

Je dis l’enfance solitaire
Vécue dans mes rêves secrets
Mes premiers émois littéraires
L’odeur du chocolat au lait.

Je dis la table du dimanche
La pintade au four et le riz
Mon aversion pour l’aube blanche
De ma communion à Paris.

Je dis les chères cigarettes
Fumées dans un sombre recoin
Les premiers verres dans les fêtes
Les moqueries de mes copains.

Je dis l’attente des vacances
La joie de quitter la cité
D’oublier les odeurs d’essence
Au cœur de la Franche-Comté.

J’ai grandi

J’ai grandi tiraillée
Entre fureur et confitures
Enroulée dans mes rêves secrets.

J’ai grandi en vitesse
Pressée de déchirer mon innocence
Au lieu de pleurer je serrais les mâchoires.

J’ai grandi à voix basse
Pour ne pas figer mon sang
J’apprenais les mots de lumière.

J’ai grandi en improvisant
À côté des adultes écartelés
Entre mensonge et cours de la bourse.

J’ai grandi en apprenant à sourire
Pour étouffer mes souffrances
Dans le désert de la décence.

J’ai grandi sous un ciel inquiétant
J’élaguais ma froide candeur
Sacrifiée à mes châteaux en Espagne.

J’ai grandi maladroitement
De flânerie en course folle
J’ai épuisé mon enfance.