30.6.08

Voluptés féminines

Sous la tiède clarté du soleil matinal
Qui danse tendrement sur ses mèches rebelles,
Sylphide offre son corps parfumé de cannelle
Aux mains de son amante au regard de cristal.

Sur sa peau satinée à l’éclat virginal,
La belle Nathalie sème une fleur nouvelle,
Née de sa bouche ardente aux lèvres de dentelle,
Qui récolte les fruits de leur trouble infernal.

Dans un déferlement de frissons incendiaires,
Éclos dans leur berceau d’étreintes singulières,
Leur fièvre se déverse en torrent de plaisirs.

Grisées par la passion de leur union sublime,
Les deux femmes comblées, au lieu de s’endormir,
Façonnent un jardin de voluptés intimes.

Mots brûlants

Mes phrases endiablées, enveloppées de flammes,
Exaltent la fureur de mes papillons noirs,
Afin que, ballottée sur le fil du rasoir,
Je compose des vers pétris de mélodrames.

Dans la nuit barbelée où les ténèbres trament
Un piège silencieux pour noyer mon espoir
Dans un bourbeux marais au parfum d’encensoir,
J’écris des mots brûlants qui calcinent mon âme.

Mes poèmes sanglants ravagent mon esprit,
Si bien que ma mémoire éclate en vains débris
De solitude armée, qui maculent ma page.

Le faisceau cristallin de mes cinglants quatrains
Creuse un gouffre d’effroi dans l’obscur marécage
De mon cœur envahi d’un insidieux chagrin.

Vieillard diabolique

Pour faire un vieillard diabolique,
Faites bouillir du jus de chique.
Jetez-y quelques gousses d’ail,
Le chapeau d’un épouvantail,
La queue d’une vache normande,
De la fleur de sel de Guérande,
De longs piquants de hérisson.
Saupoudrez de vieilles chansons.
Ajoutez de l’alcool de prune,
La photo d’une femme brune,
Les caprices d’un garnement.
Consommez-le modérément.

Fille unique échange

Je suis fille unique, j’échange mes après-midi solitaires entre le frigo et la télé, les parties de cartes où je jonglais avec quatre jeux ;
J’échange mes farces téléphoniques perpétuelles qui n’amusaient que moi, les gâteaux préparés par moi seule et mangés seule – mes parents ne sont même pas gourmands ;
J’échange mes lectures interminables, mes rêveries silencieuses et la vie que je m’inventais ;
J’échange mes tristesses inavouées et mes questions sans réponse sur Dieu, l’avenir ou la science ;
J’échange mon foyer déserté, mes parents toujours au travail, ma famille éloignée, dispersée dans toutes les régions de France, les animaux qu’on n’a jamais eus parce qu’il aurait fallu s’en occuper ;
J’échange mes vaines demandes de tendresse, les rares repas partagés avec mes parents entre le journal télé et le film, en silence, pour ne pas déranger ;
J’échange mon enfance facile et ma violence étouffée contre une vie plus animée, des rires et des pleurs, des enfants qui se chamaillent, des frères et des sœurs pour hier et pour demain ;
J’échange.

23.6.08

Téléphone portable

Tristement enfermé du matin jusqu’au soir
Dans l’affreux sac à main d’une espèce de dingue
Qui me laisse tomber pour un fixe cradingue,
Aux cris assourdissants, vexé, je broie du noir.

Coincé entre un briquet et un crasseux mouchoir,
Dans mon étui glacé où l’ennui me déglingue,
J’attends l’heure bénie de quitter le burlingue
Pendant qu’elle s’active à son turbin rasoir.

En rentrant au bercail, baladé dans Paname,
Au milieu des klaxons, je sonne à fendre l’âme
Pour que la fille, émue, murmure à mon micro.

Dans la nuit silencieuse où les ombres frissonnent,
Posé sur le buffet, je chambre un vieux blaireau,
Un téléphone à fil prochainement aphone.

Daronne en fête

Le lardon innocent offre un collier de nouilles
À sa daronne usée par ses quatre moutards
Dont les cadeaux pourris encombrent les placards,
Si bien qu’elle maudit l’école des fripouilles.

Pendant qu’elle s’active à faire la tambouille
Sous l’œil de son mari cassé par un pétard,
Une envie d’étriper ce venimeux tocard,
Radin comme pas deux, brusquement, la chatouille.

Le clébard, bousculé par l’aîné des têtards,
Riposte en esquintant la paluche du gnard
Qui pousse sur-le-champ un hurlement de trouille.

La mère, exaspérée, se console au pinard
En rêvant de virer les sinistres andouilles
Qui, depuis des années, lui délestent les fouilles.

Mon parrain

Dans mes souvenirs, mon parrain, c’est un parfum étonnant, mélange d’odeurs de tabac et d’herbe coupée, un regard pénétrant et rieur, une émotion prête à s’exprimer mais retenue par habitude et par pudeur.
Mon parrain, cet homme distant et attentif à la fois, m’a toujours fascinée. C’est le compagnon de jeu de mon enfance, le grand frère que je n’ai jamais eu, mon confident, le membre de ma famille le plus proche de moi après mon père et ma mère dont il ne possédait pas l’autorité parentale qui bride les élans.
C’est l’homme qui m’a fait découvrir les plaisirs de la campagne tranquillement, au rythme de la respiration de la nature pendant que mes parents menaient une vie trépidante de parisiens débordés par les tâches quotidiennes.
C’est celui qui m’a conseillée patiemment au cours de longues parties de pêche en barque silencieuses et intimes sur la Saône dorée par le soleil.
C’est aussi celui qui m’a appris à reconnaître les arbres en fonction de leur silhouette, de leur écorce, de leurs feuilles, à distinguer un chêne majestueux d’un bouleau élancé. Nous avons passé de longues heures en harmonie avec la nature, à l’écouter et à la respirer en silence, apaisés par sa beauté simple.
Mon parrain, c’est aussi l’homme des pommes de terre cuites sur la braise et mangées très vite entre deux séances de débroussaillement dans la petite forêt familiale.
C’est le dévoreur de bandes dessinées bon marché, des histoires de cow-boys qui ravissaient la gamine de dix ans que j’étais.
Mon parrain, c’est l’homme qui vivait encore chez sa mère, ma grand-mère, à trente ans, sans responsabilité familiale, ce qui favorisait notre complicité de l’époque.
Mon parrain, c’est malheureusement l’homme qui s’est laissé mourir d’ennui dans le petit château de sa femme, situé sur leur exploitation agricole sans que personne ne comprenne sa souffrance. C’est l’homme que je regrette d’avoir perdu deux fois, par son mariage puis par sa mort il y a quinze ans.

Je me souviens de ces vêtements

Je me souviens de la détestable robe rouge et des chaussures vernies blanches que mes parents me forçaient à porter pour les grandes occasions familiales.
Je me souviens du blouson en cuir à l’odeur animale, tiède, si lourd qu’il me rendait invincible, comme si je portais une armure.
Je me souviens de la magnifique montre bleue reçue à Noël de la part de mon amie à qui j’ai simultanément offert la même par hasard.
Je me souviens des chaussures en cuir vert, énormes et très confortables, qui attiraient tous les regards.
Je me souviens du grand imperméable noir informe acheté aux Puces de Saint-Ouen et qui me donnait une allure sinistre dont je raffolais.
Je me souviens du tailleur gris sage acheté pour passer des entretiens d’embauche et que je n’ai plus jamais porté par la suite.
Je me souviens de la gourmette en argent gravée à mon prénom offerte par mon parrain décédé depuis et que j’ai fièrement arborée jusqu’à ce qu’elle se brise.
Je me souviens des gants en cuir marron de ma mère qu’elle m’a donnés, cadeau luxueux symbolisant mon entrée dans le monde des adultes.
Je me souviens de la collection de vestes farfelues aux couleurs impensables achetées sur des coups de tête et rarement portées.
Je me souviens du pull tricoté par ma mère, noir et gris, si épais qu’il occupe un rayon entier de ma commode et qu’il m’est impossible de mettre un blouson par-dessus.
Je me souviens de ma première paire de lunettes, une monture ronde en plastique, véritable punition pour l’enfant pétulante de six ans que j’étais.

16.6.08

Univers mourant

Qu’importe la douceur de l’automne gracieux
Qui déverse un bouquet de fragrances boisées
Dans l’air tiède envahi de nuées irisées
Dont l’élégant ballet illumine les yeux !

Qu’importe la gaieté de l’océan radieux,
Bercé par le zéphyr dont l’haleine prisée
Caresse tendrement sa surface apaisée
Sous la douce clarté d’un soleil malicieux !

Pendant que le canon efface la lumière
De l’horizon gorgé d’espérance incendiaire,
La nature blessée s’effondre sous les pas.

L’humanité répand un implacable fleuve
De sang sur l’univers dont le prochain trépas
Se prépare aujourd’hui dans un creuset d’épreuves.

Regrets aphones

Tout s’emmêle aujourd’hui au fond de mon esprit,
Nos rires partagés en plein cœur de Paname,
Tes lâches tromperies, prophètes de nos drames,
Nos plaisirs entachés des échos de tes cris.

Les cuisantes douleurs de mon âme en débris
Jettent mes souvenirs dans les sournoises flammes
De ton regard cruel quand ton départ infâme
M’a laissée apeurée au seuil d’un futur gris.

Dans le silence amer de mes nuits solitaires,
J’affronte le faisceau de soupçons délétères,
Dont les griffes glacées lacèrent mon espoir.

Aux portes du matin, épuisée, j’abandonne
Ma mémoire à l’oubli dont le sanglant rasoir
Déchire notre amour en vains regrets aphones.

Elle

Ton regard plaide ta patience.
Ton sourire révèle le croisement de l’espace et du temps.
Je te vois, ostensoir de mon cœur,
Immobile dans le temple désert.

Tu palpites dans les pâles ténèbres du crépuscule,
Plus légère que le jour naissant.
Déguisée en cigale,
Tu pactises avec le soleil.

Tu déchiffres le murmure du torrent.
Le rossignol chante ta gloire.
Des branches les plus basses aux feuilles trouant le ciel,
Les arbres frissonnent sur ton passage.

Tu exaltes l’innocence du matin
Soûlé de lumière incendiaire.
Le soir dépose ses orages à tes pieds.
Tu sculptes le labyrinthe de ma joie.

Réconfort familial

Il y allait tous les jours à l’aube, tous les matins du mois de janvier. Il se levait plus tôt qu’avant, s’habillait précipitamment dans l’obscurité, avec une économie de gestes efficaces, en prenant soin de n’éveiller personne.
Sa mère vivait à l’autre bout du village, dans une petite maison mal chauffée, isolée, seule, trop seule depuis la mort de son mari, l’année précédente.
C’est là que les ennuis ont vraiment commencé. Elle se consumait, fatiguée de sa vie monotone, encombrante et inutile, si bien qu’il a fallu l’hospitaliser pendant près d’un mois.
Revenue au village, elle était transformée, pas vraiment heureuse, mais apaisée.
L’âge ne fait rien, il serait le bâton de vieillesse de celle qui lui avait tout appris, tout donné.
Elle attendait ses visites dans ses longues journées d’ennui en compagnie du silence déchiré par les coups de l’horloge à intervalles réguliers.
Elle venait d’avoir soixante-dix ans. Le jour de son anniversaire, elle avait mis sa robe à carreaux et lui souriait sur le perron, les yeux gonflés de tendresse. Une bouffée d’émotion lui submergeant le cœur, il l’a prise dans ses bras, et c’est à ce moment qu’il a décidé qu’elle vivrait désormais chez lui.