Je suis fille unique, j’échange mes après-midi solitaires entre le frigo et la télé, les parties de cartes où je jonglais avec quatre jeux ;
J’échange mes farces téléphoniques perpétuelles qui n’amusaient que moi, les gâteaux préparés par moi seule et mangés seule – mes parents ne sont même pas gourmands ;
J’échange mes lectures interminables, mes rêveries silencieuses et la vie que je m’inventais ;
J’échange mes tristesses inavouées et mes questions sans réponse sur Dieu, l’avenir ou la science ;
J’échange mon foyer déserté, mes parents toujours au travail, ma famille éloignée, dispersée dans toutes les régions de France, les animaux qu’on n’a jamais eus parce qu’il aurait fallu s’en occuper ;
J’échange mes vaines demandes de tendresse, les rares repas partagés avec mes parents entre le journal télé et le film, en silence, pour ne pas déranger ;
J’échange mon enfance facile et ma violence étouffée contre une vie plus animée, des rires et des pleurs, des enfants qui se chamaillent, des frères et des sœurs pour hier et pour demain ;
J’échange.