31.12.09

Du mot au poème

Urgence vertigineuse
Appel des mots
Idée
Déferlement, choisir
Entonnoir
Élus
Assembler
Modifier si mésalliance

Poème
Appel des mots écartés
Idée
Doute ?
Trancher
Mots, taisez-vous !
Boucle ?
Peut-être revenir demain…

Quel clown, la mouche ! - Conte

Dans la ville Tictac, au pays Fantaisie, chacun vaque à ses affaires, voletant par-ci par-là, dans le sens des aiguilles d’une montre. Le Comte du Temps règne sur Tictac, depuis son palais de pain d’épices, dont les citadins vont parfois dérober une tranche, les jours de famine, surtout la fourmi, réputée gourmande.
Le bourdon horloger est un notable de la ville. Son échoppe est située sur la place principale, entre l’église et la boulangerie. Du matin au soir, il répare montres et pendules pour les habitants de Tictac. Ce matin, à peine sorti du sommeil, il trouve à sa porte l’abeille, qui vient chercher son réveil, réparé hier. Comme il ne sonnait plus, le bourdon y a mis une cigale. Puis vient la libellule, qui reprend sa pendule. Elle branlait de gauche à droite, et marquait le temps en rechignant, à reculons. L’horloger a mis une tarentule dans le mécanisme, une grosse tarentule sérieuse, à pédales, si bien que la pendule marche à nouveau régulièrement.
Avant-hier, la mouche a apporté son horloge, muette et froide. Depuis, l’horloger s’interroge. Comment diantre réparer cette horloge ? Et soudain, illumination ! il confectionne une décoction de sauge, huile les rouages avec cette potion et l’horloge de la mouche fonctionne à nouveau. Il est midi, la mouche vient d’entrer dans l’échoppe de l’horloger. Ô joie ! Elle chantonne, caresse le bourdon de ses ailes, si bien que, chatouillé, il se tortille en tous sens, éternue, et l’horloge se fracasse par terre. La pauvre mouche a le bourdon ! Hélas ! la ponctualité est capitale dans Tictac, le Compte du Temps est intransigeant sur ce point. Alors la mouche, d’un ton courroucé, demande au bourdon une montre à gousset comme dédommagement. Dans la montre à gousset, le mécanisme est réglé par une gousse d’ail, ce qui présente l’avantage d’éloigner les lézards et les crapauds, prédateurs de la mouche. Finalement, j’ai fait une bonne affaire ! se dit la mouche. C’est pourquoi elle se réconcilie avec le bourdon. Ils vont fêter leur amitié au troquet que tient le criquet. Le bourdon prend un bourbon, et la mouche, une louche de punch. Ivre, la mouche glousse, avec sa montre à gousset accrochée à une patte. Quel clown, la mouche !

Joyeux réveillon !

Dansez, riez, chantez, voici le réveillon
Laissez votre cafard, vos ennuis, au vestiaire
Exprimez votre joie, allumez les lumières
Sautez, frappez vos mains au gré du carillon

Si vous voulez, piquez un léger roupillon
Au réveil, frottez-vous doucement les paupières
Trinquez à l’an nouveau en buvant quelques bières
Précédées d’un tonneau de vin du Roussillon

Après manger, dites merci aux cuisinières
Pour chasser le sommeil, videz la cafetière
À minuit, tous en chœur, courez au goupillon

Embrassez-vous gaiement sans faire de manières
Formez un escargot, volez en tourbillon
La fête terminée, rentrez au pavillon

Guerre cruelle

Dans la cuisine sombre au parfum de malheur,
La famille attablée mange la soupe claire,
Le bourguignon garni de trois pommes de terre,
Quand un coup à la porte annonce le facteur.

Privée de son époux couché au champ d’honneur,
La paysanne élève un garçon, que la guerre
Conduit dès aujourd’hui sur les pas de son père,
En suivant son chemin jusqu’au bout de l’horreur.

Son enfant appelé, déchirée de douleur,
La femme s’abandonne aux griffes de la peur,
Dans l’étroite demeure où règne un froid polaire.

Quand un lugubre pli vient lui briser le cœur,
Plutôt que de mener une vie solitaire,
Elle choisit la paix d’un caveau funéraire.

Valise fantaisie

J’ai mis dans ma valise

Une valse à trois feuilles
Un trèfle à quatre temps
Du tabac à boire
Une chanson à priser
Une salle à frire
Une poêle à manger
Une paire de sable
Un château de claques
Un oiseau de bain
Du sel de nuit
Un pied de pie
Une queue de lampe

Puis je suis partie en voyage
Parée à toute éventualité

Église glaciale

Pendant que le curé partage
L’hostie pour le Saint Sacrement,
Jésus regarde tristement
L’église en panne de chauffage.

Sur les bancs tremblent les fidèles,
Emmitouflés dans leurs manteaux,
Implorant de sortir bientôt,
Avant que leurs membres ne gèlent.

Le froid engourdit la chorale,
Qui déraille dans un refrain,
Tandis que le bedeau, chagrin,
Grelotte dans l’allée centrale.

Dès que sonne la délivrance,
Chacun s’empresse de ranger
Son missel, pour aller manger
Le déjeuner de l’abondance.

Vins divers

Pendant que son frangin garde ses deux moutards,
Le loustic en congé emmène sa gonzesse
Dans une foire aux vins, où il trace en vitesse
Parmi les exposants pour pinter leur pinard.

Sa moitié, épuisée, se pose dans un bar
Pour boulotter un steak dégoulinant de graisse,
Sous l’œil jaloux d’un clebs, qui, tirant sur sa laisse,
Fait trébucher son maître, un bourgeois en costard.

Le rond-de-cuir, honteux, rouspète, se redresse,
File un gnon au cador, qui se tire en vitesse
Dans la rue, où il mord le mollet d’un clochard.

Tandis que son mari se vautre dans l’ivresse,
La souris, désœuvrée, accoste un malabar,
Qui lâche son godet pour la suivre au plumard.

Ivresse fatale

Dégoûté d’écluser son immonde pinard,
Dont les mauvais tanins déteignent sur sa trogne,
Le keum, kiffant les crus du Rhône et de Bourgogne,
Se console en pintant un reste de Ricard.

Quand la cuite s’installe, il fout un tel chambard
Que son voisin débarque en le traitant d’ivrogne,
De sorte que, furax, ils en viennent aux pognes,
Jusqu’à ce qu’un condé monte avec son pétard.

En rentrant, écœurée par l’odeur de charogne
Du mec dans son vomi, sa gonzesse le cogne,
Avant de le buter en trois coups de poignard.

Délivrée, la souris achève sa besogne
En planquant le macchab au fond de son plumard,
Puis file retrouver ses potes dans un bar.

Noël lugubre

Sous un ciel envahi de cotonneux nuages,
Dont le manteau lacté rétrécit l’horizon,
Les chênes, amaigris par la froide saison,
Dressent leurs troncs gelés dans les rues du village.

Le réveillon approche, orné de doux messages,
Au malade alité, des vœux de guérison,
Au foyer démuni, de l’argent à foison,
Mais l’année à venir reniera ces présages.

La neige tombe dru, isole ma maison,
Tandis que le silence étouffe ma raison,
À l’orée d’un Noël au parfum de naufrage.

Le bonhomme en habit de clown sur mon gazon
Menace d’un balai les enfants de passage,
De sorte qu’ils s’enfuient vers d’autres paysages.

Dans la main d’une mère

Dans la main d’une mère
Un cahier de chansons
Un bouquet de tendresse
Un ruban de confiance

Dans les yeux d’une mère
Une photo d’autrefois
La force des ancêtres
L’écho des souvenirs

Dans le sourire d’une mère
Un recueil de poèmes
La patience d’attendre
Le parfum des confidences

Dans les bras d’une mère
Un billet vers le futur
L’espoir de revenir
La chaleur de l’amour

Une mère,
Pour hier, pour aujourd’hui, pour demain

Repas avorté

Un œil sur le menu, l’autre sur sa gonzesse,
Occupée à mater un snob aux traits princiers,
Le loustic au restau s’envoie dans le gosier
Un bourbon qui l’emmène aux portes de l’ivresse.

En attendant son plat, il reluque les fesses
D’une bombe au comptoir, si bien que sa moitié
Lui balance une baffe, un juron ordurier,
Se lève, prend son sac, se tire vers la caisse.

En zieutant l’addition que lui tend le taulier,
Elle fait du barouf, refuse de payer,
Menace d’appeler la flicaille ou la presse.

L’amazone en furie bouscule le greffier,
Crache sur le barman, puis se casse en vitesse,
Pendant que son mari finit sa bouillabaisse.

Serment poétique

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement,
Disait Monsieur Boileau, tandis que le poète,
Loin des sentiers battus de l’expression parfaite,
Mène à la rêverie en semant des diamants.

Au sein de son esprit, il cueille des tourments,
Des bonheurs, qu’il transcrit en mots de sa palette,
Puis il forme des vers dont le rythme complète
Le récit qu’il présente en des termes charmants.

En traçant les visions qu’il tire de sa tête,
L’artiste clairvoyant nous invite à la fête
De l’imagination fleurie de sentiments.

Du rondel au sonnet, la poésie rejette
La précision bornée, pour choisir simplement
La libre fantaisie comme premier serment.

Chaos

Le temps emplit l’espace d’absence
La peur enfle
La nuit ronge la frontière de la folie
Le silence grignote la raison
Repères dévorés
Borderline

Marteau, j’écraserais les doutes

Dehors ?
Toi sous un autre toit
Efface-toi, frère d’effroi
Au trou !

Vivre ?
Sursis volontaire
Arrêt sur demande

L’autre ?
Arête d’ablette
Morsure d’ortie
Mal à l’autre
Corps sourd
Cœur bétonné

Peut-être
Mots clairvoyants
Les mots fouillent les chairs, grattent la pourriture
La sève de vie vibre dans les vers

Cours, cours, poète
Va cueillir les étoiles

Parfum de rupture

Dès que la nuit étend son aile de froidure
Sur les rues que la foule achève d’arpenter,
L’amoureux sent pointer une curiosité,
Qui répand son poison de déplorable augure.

Seul avec son whisky, il guette la voiture
De sa compagne aimée, partie pour visiter
Sa famille qui vit au nord de la cité,
Tandis que la pendule attise sa torture.

De la chambre en désordre au salon déserté,
L’homme, qui tourne en rond, essaie de résister
Au soupçon dont s’exhale un parfum de rupture.

Aux portes du matin, épuisé de lutter
Contre l’épieu du doute aux menaces obscures,
Il plonge dans la ville où le bruit le rassure.

Destin de dealer

Lassé de supporter l’humeur de son taulier,
Un vicieux rondouillard aux crasseuses bacchantes,
Le loustic, écoutant le diable qui le tente,
Lui rentre dans le lard avec un cri guerrier.

Plutôt que de trimer pour un connard grossier,
Le roublard patenté se lance dans la vente
De came que lui fourgue une gosse bandante,
La souris attitrée d’un cador du quartier.

Au bout de quelques jours d’affaires florissantes,
Pour éloigner son blé de sa cupide amante,
Le gaillard ouvre un coffre auprès de son banquier.

Au coin d’une rue sombre, une lame cinglante
Achève d’un coup franc le destin du gazier,
Tandis que son pognon dort chez le financier.

Fleur de déraison

Fleur de déraison.
Fenêtre ouverte
Sur paupières cousues.

L’autre ?
Arête vive,
Souilleur de silence.
Monde truffé d’épines glacées.
Petit prince, efface les barreaux.

Funambule, un mot dehors, le pied dedans.
À l’intérieur le verbe fleurit,
Là-bas, langage du vide.
Mot tu, mot tué, mort du mot.


La drôle de mort rôde
Sur les remparts de la folie ordinaire.
Vertige, le mot s’éteint.
Enfoncement !

Poète de l’espoir

Après une nuit brève au sommeil agité,
Le poète se lève, embrasse sa princesse,
Dépose sur son ventre un bouquet de caresses
Au parfum du bonheur de son cœur exalté.

Puis, assis à sa table, il songe à quantité
De mots que son stylo transcrit avec adresse,
Si bien que les tourments qui quelquefois l’oppressent
Se diluent dans ses vers brûlants de volupté.

Au milieu des sonnets qu’il compose sans cesse,
Il sème des trésors, des perles de tendresse,
Pour que sa poésie donne envie de chanter.

Plutôt que de brandir les rets de la tristesse,
L’écrivain de l’espoir se délecte à planter
Les graines d’un futur éclatant de beauté.

Acupuncteur parisien

Lassé de composer de longues ordonnances
Pour des patients gourmands de cachets en couleur,
Le docteur se décide à rechercher ailleurs
Un chapelet d’outils qui soignent les souffrances.

Loin des médicaments aux graves conséquences,
Il découvre en Asie l’art des acupuncteurs,
Qui, d’une aiguille fine, éteignent les douleurs
De malades guéris en deux ou trois séances.

Séduit, il étudie le méridien du cœur,
Les vaisseaux merveilleux, le triple réchauffeur,
Les symptômes, les pouls, puis il revient en France.

Installé à Paris, il pique avec ardeur
Le brûlé, le fumeur, la femme avant naissance,
Qu’il soulage si bien qu’ils louent son excellence.

Messager du bonheur

Facteur,
Deviens le messager du bonheur.
Déchire les factures,
Les lettres de rupture.

À la vieille assise à sa fenêtre,
Apporte un morceau d’Amérique.

À l’enfant en pleurs dans la cour,
Donne un oiseau multicolore.

À la veuve recueillie au cimetière,
Offre un bouquet de sourires.

À l’ouvrier fourbu au sortir de l’usine,
Délivre une sirène magnifique.

Au malade allongé sur son lit d’hôpital,
Remets un éclat d’arc-en-ciel.

À moi ?
Souffle-moi des mots.
J’écrirai l’Amérique, l’oiseau, les sourires, la sirène, l’arc-en-ciel.
J’en ferai un poème, messager du bonheur.

Ma femme est morte ce matin

Ma femme est morte ce matin.
J’observe son sang se répandre,
Pendant que gèle à pierre fendre
Mon cœur où le bonheur s’éteint.

Je l’ai tuée pour la punir.
De quoi ? J’ai perdu la mémoire.
Mais je garde mes idées noires
Pour souiller mon triste avenir.

Elle me trompait trop souvent,
Puis rentrait chez nous sans vergogne.
Ce soir, je me soûle en ivrogne
En pleurant sur nos joies d’avant.

J’occuperai seul le lit froid.
Elle y prenait toute la place.
Tandis que pourrit sa carcasse,
J’emprunte le couloir étroit.

Je m’endormirai au whisky.
Je pourrai finir la bouteille,
Sans qu’elle crie à mes oreilles
Ou file avec je ne sais qui.

Ma femme est morte ce matin.
Dans mon cœur le bonheur s’éteint.

Veuf joyeux

Assis sur le parquet près du corps de sa femme
Qu’il vient de zigouiller en trois coups de poignard,
Le zigoto dilue dans un mauvais pinard
Le remords qu’en son cœur un dieu courroucé trame.

Quand il rentrait shooté, les yeux brillants de came,
Sa moitié rugissait, se mettait en pétard,
Puis, lassée de lutter, le boudait au plumard,
Tournée vers la cloison, plus froide qu’une lame.

Pour célébrer gaiement la fin du cauchemar,
Le gazier, délivré, branle son braquemart
Qu’il confiera bientôt aux lèvres d’autres dames.

Soudain le veuf sursaute à la vue du têtard,
Dont la braillarde entrée sur la scène du drame
Contrarie gravement son lubrique programme.

À fleur d’ombre

À l’arbre, la sève.
Au banc, la pierre.
Le poids des choses.

L’homme pèse son poids de gravité.
Sa vie s’emboîte avec celles de ses proches.

Moi ?
Je n’ai pas de prise.
Je ne pèse pas,
Ou si peu, à peine le poids d’un mot.

L’espace s’effondre à mon contact.
Le temps me soustrait.
Le monde s’arrête au bord de mon abîme intérieur.
Je vis à fleur d’ombre.

Bonheur militaire

Sur un ordre lâché par un chef sanguinaire,
L’exaltation grandit parmi l’état-major
Qui, pressé de chasser l’ennemi vers le nord,
Lance dans la région ses machines de guerre.

Des grappes de soldats au regard volontaire,
Arborant fièrement leurs costumes de mort,
Déciment les civils pour piller leurs trésors,
Tandis que les canons entonnent leur colère.

Le soleil matinal étire ses rais d’or
Sur le lacis des rues, où s’étalent les corps
Dont le sang se répand en mare funéraire.

Sur le charnier formé par la loi du plus fort,
Le clairon des vainqueurs sonne pour satisfaire
Le général d’armée que le bonheur éclaire.

Destin de mouche

La mouche vole de travers,
Embarrassée par son horloge.
Le moustique qui l’interroge
Prend une volée de bois vert.

Elle atterrit sur un rosier,
Jette un coup d’œil sur les aiguilles.
Aveuglée car le soleil brille,
Elle lui lance un mot grossier.

Sur les conseils de son ami,
Elle achète une montre orange.
Comme le tic tac la dérange,
Elle la donne à la fourmi.

Tant pis ! se dit-elle à la fin,
Je renonce à connaître l’heure.
La durée compte pour du beurre
Si je peux manger à ma faim.


Note : Ladurée est une célèbre pâtisserie parisienne, réputée pour ses macarons, d’où le jeu de mots, Ladurée / la durée, beurre, faim.

L’horloge de la mouche

Mouche des bois, mouche des villes,
Dans la chaleur, dans les frimas,
Ton horloge est ton estomac
Pour mesurer le temps qui file.

Les raviolis de la cantine,
Les pommes de terre aux harengs,
Le saumon frais du restaurant,
Comblent la mouche citadine.

Poussée par les bruits de son ventre,
Des feux de l’aube jusqu’au soir,
Elle mange au bord des comptoirs.
De l’appétit, elle est le chantre.

Les ablettes de la rivière,
Un fond de champagne rosé
Au pique-nique improvisé,
Charment la mouche forestière.

Tiraillée par sa faim tenace,
Elle vole au gré des sentiers
Pour trouver des fleurs, du gibier.
Repue, elle danse avec grâce.

À quoi bon prendre une pendule ?
Qu’il soit minuit, qu’il soit midi,
La mouche lit l’heure au radis,
Du matin jusqu’au crépuscule.

Destin citadin

Élevée à mi-temps entre campagne et ville,
J’ai connu le ruisseau, les pommiers, les moutons,
La cane qui chemine avec ses canetons,
Les paysans heureux de leur moisson fertile.

Délaissant la forêt, j’ai élu domicile
Dans une cité grise où règnent le béton,
Les conducteurs pressés qui tancent les piétons,
Les comptoirs où s’entasse une faune virile.

J’ai quitté le jardin, les rosiers en boutons,
Pour une chambre étroite aux meubles en carton,
Où la lumière éveille une poussière hostile.

Vers mon futur urbain, je m’avance à tâtons,
Au gré des boulevards où s’ennuient les vigiles,
Tandis que je souris aux souvenirs qui filent.

Monde renaissant

Tremblez, hommes maudits, car nous, démons puissants,
Le cœur aiguillonné d’une juste colère,
Descendrons cette nuit pour venger cette Terre
Des méfaits engendrés par votre goût du sang.

Accompagnés d’un air aux funèbres accents,
Nous viendrons déchirer, de nos cinglantes serres,
Vos corps de scélérats, vos putrides viscères,
Vos cerveaux où s’invente un futur indécent.

Nous briserons bientôt vos carcasses vulgaires,
Afin que, libéré de vos fiels délétères,
Le monde se transforme en jardin ravissant.

La planète, à jamais délivrée de vos guerres,
Offrira ses trésors aux mains de remplaçants
Qui sauront la fleurir de bonheurs incessants.

Souvenirs champêtres

Autrefois, j’ai connu la plénitude du village, le murmure des rivières, la fraîcheur des bois, la gaieté des oiseaux. J’ai connu le pas qui s’enfonce dans le champ lourd de pluie, le calme parfum de l’encens dans l’église où brûlaient des bougies tremblantes, offrandes confiantes à un dieu familier. J’ai connu le chemin bordé de coquelicots, la fête aux arômes de beignet et de caramel, sur la place entourée de pommiers. J’ai connu le bruissement du vent dans les grands chênes aux troncs larges et noueux, contre lesquels je m’adossais pour lire, avec mon goûter de gros pain au levain et de chocolat à croquer. J’ai connu les vieux courbés sur leur perron, le sourire édenté, la peau parcheminée de toute une vie avec deux guerres et des naissances à foison, les yeux humides de souffrance et de joie mêlées. J’ai connu la solitude heureuse dans la sieste ensoleillée des prés.

Aujourd’hui, je vis dans la ville peuplée d’immeubles et de voitures. Ici, les fenêtres ouvrent sur les klaxons, les sirènes de police, le vacarme des camions-poubelles. Ici, les portes ouvrent sur la suspicion. Ici, les néons remplacent les étoiles, les gens passent en courant dans les vastes églises, les marchés encadrés de béton débordent de denrées inconnues, des fruits exotiques colorés mais insipides aux poissons anonymes qui semblent fabriqués pour nourrir l’homme. Ici, la solitude est armée de méfiance.

Aujourd’hui, je me souviens d’autrefois, et j’avance seule dans la violence de la ville où la vie se flétrit dans les appartements amnésiques et monotones. Aujourd’hui, j’évoque le village, les chênes et les oiseaux. Ils sont tous venus, tellement splendides, colorés et souriants que je m’interroge. Et si j’avais rêvé mon enfance champêtre ? Aujourd’hui, je trace mon chemin de poète, et la ville et la campagne se confondent dans mes souvenirs imaginaires et mon avenir inventé.

Gogo malade

Déchiré de douleurs, d’ulcère en lumbago,
Le quidam furibard de lâcher son oseille
Aux toubibs officiels, loin de faire merveille,
Confie son corps aux mains d’un soignant pour gogos.

Questionné jusqu’au point d’en perdre son argot,
La honte sur le front coloré de groseille,
Le malheureux avoue l’amour du jus de treille,
Qui, du matin au soir, lui coupe les gigots.

Le charlatan l’ausculte, il pique ses oreilles,
Le pince d’une force à nulle autre pareille
De ses pognes glacées plus sèches qu’un fagot.

Croyant qu’il est guéri, léger comme une abeille,
Le cave aboule au doc un monstrueux magot,
Puis file se pinter au pinard tout de go.

Naissance du poème

La vie se disperse, sans poids, sans valeur.
Que reste-t-il ensuite ?
Rien de plus qu’une arête d’ablette.

Le poignard ravive la chair qu’il fouille.
De la douleur jaillit la conscience.
L’assassin réveille l’indolent.

La violence lave l’oubli.
Le mort s’inscrit dans l’histoire.
La mémoire se grave au sang du crime.
Dans le creuset de la destruction germe le poème.

Le prisonnier

Le soleil s’écorche aux barreaux.
Dans le mur sale, une fissure
Ouvre sur le vivant.

Dans la lourdeur du silence,
Le refrain métallique amorce le repas.
Le pain, écorce amère de vie,
Porte l’empreinte sèche du dehors.

L’après-midi, tout se fige,
Hormis le cafard qui s’aventure
Sur le lavabo fendu de lassitude.

Sous le regard emmuré,
Le livre s’affadit,
La photo en couleurs s’éteint.

La nuit abolit les traces de liberté.
L’extérieur se dissout dans le noir de la cellule.
Le temps s’étire sans sommeil.
Demain rejoint hier.

L’oiseau libre

Dans le clair firmament, l’oiseau prend son essor
Loin des régions où cingle une bise cruelle,
Par-delà l’océan, vers des contrées nouvelles
Où l’été le guérit des froidures du nord.

À l’abri de l’hiver en costume de mort,
Habile à déchirer le cœur qui se rebelle,
De ses griffes parées de mordantes dentelles,
Il file dans l’azur vers de radieux décors.

Tandis que le passé chante dans ma cervelle
Un refrain aux accents de ma peine éternelle,
Dont le poison éteint les désirs de mon corps ;

Dans le ciel qu’illumine un soleil aux rais d’or,
L’aérien voyageur s’approche à tire-d’aile
D’un pays verdoyant où l’espoir étincelle.

Ma mère morte

Lit d’hôpital
Ma mère
Peau parcheminée
Du récit d’une vie qui s’achève

Mon amour écorché
Au mur de sa souffrance

Taire la peur
Les mots se terrent dans l’impuissance

Dieu truqueur
Mensonge d’argile

Regard fuyant de l’infirmière
Rivée au versant du vivant

Le temps se compacte
L’espace se ramasse
La lumière se replie
La vie se vide
Le noir s’agrandit
À portée d’absence

Elle meurt
Silence barbelé
Murs blancs d’indifférence
Je quitte la chambre
Seule à jamais

Ordinateur malveillant

Mon fier ordinateur, fils du malin esprit,
S’acharne à détraquer mon écran, ma souris.
Fâché de mouliner son code en solitaire,
Il fabrique un virus qu’il transmet à mon frère.
Lorsque je le bouscule, il sévit aussitôt
En changeant les couleurs de toutes mes photos.
Jaloux de mon succès, ce scélérat se venge
En infestant mes vers d’un charabia étrange.
Bientôt je briserai cet engin de malheur
Pour former au stylo les mots chers à mon cœur.

Ordinateur bienveillant

Paré de mon clavier riche en touches dociles,
J’emmène le garçon, la fille, et leurs parents,
Au fil des vidéos qu’affiche mon écran,
Dans le passé, le ciel, le ventre d’une ville.

À l’amant que menace un vigoureux reptile
Avide d’étouffer ses sentiments si grands,
J’apporte une photo fleurie d’un regard franc,
Éloquent messager des joies qui se profilent.

J’offre à l’enfant blessé qui s’approche en pleurant
Un dessin animé peuplé de cormorans,
Dont l’aîné le conduit vers les secrets d’une île.

Pour la vieille qu’oublie le monde indifférent,
J’affiche un chapelet d’images qui défilent
Sur l’air d’une chanson à l’espoir volubile.

Bleu espérance

Gerbe de joie sur écorce de vie
Reflet d’infini
Empreinte d’horizon à portée d’espoir
Subtil équilibre, le temps hésite
Silence traversé d’ondes venues d’ailleurs
Avenir possible ?

L’homme ?
Poussière d’orgueil au vent du néant
Pourtant demeure l’écho d’un souffle
Germe de demain
Sur bleu espérance

Que je t’aime

Que je t’aime
La tarte à la crème
Troubadour
Danse dans la cour

Cœur emblème
Délicieux poème
Mon amour
Joyeux calembour

Fleur qu’on sème
Vilain chrysanthème
Pour toujours
L’illusion rend sourd

Stratagème
Adieu ma bohème
Au secours
Roule le tambour

Matin blême
Lance l’anathème
À rebours
Trêve de discours

Course à la chaussette

Le réveil hurle son signal.
Je me réfugie sous la couette.
Il s’échine à vriller ma tête.
Je hais ce monstre de métal.

Où donc est passée ma chaussette ?
Cachée dans le sac de Josette.

Je jette un coup d’œil au journal.
Le sommeil me colle aux mirettes.
Chocolat, miel, beurre et baguette,
J’ai un appétit de cheval.

Où donc est passée ma chaussette ?
Cachée dans le sac de Josette.

Ici c’est le souk intégral.
Il faut pourtant que je m’apprête.
J’hésite entre une salopette
Et un pantalon de tergal.

Où donc est passée ma chaussette ?
Cachée dans le sac de Josette.

Enfin, sourire triomphal,
J’attrape l’agile coquette.
Je lui mettrai une sonnette
Pour contrer ce cirque infernal.

Où donc est passée ma chaussette ?
Cachée dans le sac de Josette.

Je hais les enfants et leurs parents !

Je hais les enfants et leurs parents !
Je hais les enfants, ces êtres geignards, ces concentrés d’inhumanité et d’égoïsme.
Je hais les bébés puant le lait caillé et le vomi. Leurs pleurs pourrissent nos nuits. Leurs maladies, otites, oreillons, bronchiolites, nous transforment en infirmiers à plein temps, rivés au berceau de ces monstres braillards. Je hais les bébés pour leur malpropreté, pour les milliers de couches volumineuses et ruineuses nécessaires à leur bien-être.
Je hais les bambins dont l’énergie nous épuise dès qu’ils commencent à marcher. Ces orfèvres de la catastrophe s’acharnent à nous effrayer en se mettant en danger. Il mangent de la mort aux rats, mettent les doigts dans les prises électriques, incendient les rideaux, testent l’insubmersibilité du chat, vident le réfrigérateur et l’armoire à pharmacie. Je hais ces terroristes des bacs à sable, qui font de nous des esclaves éreintés, tout juste bons à compter les années avant d’être délivrés de ces fabriques à sottises.
Je hais les enfants aux portes de l’adolescence pour leur méchanceté. Dépourvus de politesse et de retenue, ils distillent des flots de réflexions outrageantes, si bien que nous nous escrimons à longueur de journée à nous confondre en excuses à leur place. Pour nous remercier, ils nous assaillent de remarques cinglantes sur notre intelligence, notre physique, notre réussite professionnelle. Je hais les enfants parce qu’ils ne cessent de nous taper de l’argent que pour le piquer directement dans notre portefeuille.
Je hais les parents quand ils bêtifient. Je hais les parents aux mains poisseuses de photos de leur progéniture. Certains que leur moutard est le plus beau, le plus éveillé,le plus intelligent, ils nous bassinent avec des vidéos de vacances interminables et nous abreuvent de leur radotage sur la première dent, les premiers pas, les premiers mots du petit dernier.
Je hais les enfants… sauf mon fils. Lui, ce n’est pas pareil, il est poli, bien élevé, obéissant. Il est intelligent et débrouillard. Rendez-vous compte, à dix ans, il joue déjà au bridge ! Je suis sûre qu’après de grandes études, comme l’École Centrale ou Polytechnique, il fera une brillante carrière. Il sera sans doute chirurgien, spationaute ou politicien.
Aujourd’hui c’est son anniversaire. Je vais lui offrir un VTT et une console de jeux. D’ailleurs, pour la console, pouvez-vous m’aider à choisir ? PSP, Sony Playstation 3, Nintendo DS, pour moi, c’est de l’hébreu. Mon fils, il est comme un poisson dans l’eau avec ces nouvelles technologies. Il est tellement intelligent !

Matin paysan

Une tache sur la toile cirée du glissement des jours
Pactise avec une mouche prudente.
La femme debout, face rivée aux tâches domestiques,
Dos dédié à l’époux, assis, jambes écartées.
Massif, il mange gravement,
Mots économes, gestes lourds d’habitudes.
Crissement du couteau poli de certitudes
Sur la rugosité du pain.
Eau-de-vie âpre de terre exigeante.
Il replie sa serviette vers le repas de midi,
Se lève.
Le jour attend dehors.
Le champ appelle.
La chaise racle le carrelage, l’homme sort.
La femme s’assoit devant la mouche repue.

Chasse aux gourous fumeux

Debout, réveillez-vous, hommes de toutes races !
Disciples de gourous nourris de vos malheurs,
Chassez de vos pensées les oracles menteurs
Qu’inventent des escrocs à l’appétit vorace.

Descendez des autels les charlatans loquaces,
Fabricants de faux dieux forts de votre candeur.
Abattez les démons que fomentent vos peurs,
Pour qu’un monde radieux naisse de votre audace.

Êtres libres, suivez les lois de votre cœur,
Bâtissez votre voie, loin des prédicateurs
Vendeurs de guets-apens où la raison s’efface.

Puisez dans votre esprit les germes du bonheur,
Afin qu’à l’avenir, l’occulte laisse place
Au règne d’un amour aux promesses vivaces.

La luge de Josette

Suivez la luge de Josette.
Embarquez pour le réveillon.
Au marché, bonbons, cotillons.
Aujourd’hui commence la fête.

Il neige, je glisse en raquettes.
À midi, léger roupillon.
Ce soir, banquet, joues vermillon.
Le cognac me monte à la tête.

Dans la nuit, champagne et gaufrettes.
J’ai dansé, vilain durillon.
À minuit sonnez carillons.
Au matin, l’ivresse me guette.

Une dernière cigarette
Sur le chemin du pavillon.
Je cours, je vole en tourbillon.
Hélas ! il faut que je m’arrête.
Horreur, fugue d’une chaussette !
Retour à luge de Josette.

Fugue d'une chaussette

Le réveil se jette à ma tête
Dans un tintamarre infernal.
Ma chaussette se fait la malle.
Perfide, quelle est ta cachette ?

Hier matin, je t’ai trouvée
Blottie dans le fond de l’armoire.
Es-tu tapie sous la baignoire
Ou dans la machine à laver ?

Pour te punir de ta conduite,
Je te remplacerai, vilaine,
Par une chaussette de laine
Si tu n’apparais pas de suite.

Quand tu t’es enfuie ventre à terre,
Noire de ta méchanceté,
J’ai vu s’effondrer, dépitée,
L’autre chaussette de ta paire.

Hélas, tu n’es pas revenue !
Pourvu que tu rentres ce soir !
En t’attendant, je broie du noir,
Tandis que je marche pieds nus.

Avec mon cœur pour tout bagage

Je hais les voyages et les explorateurs !
J’exècre les voyages organisés, départ en pleine nuit, des dizaines d’heures de trajet, les valises qui se perdent. À l’étranger, on se retrouve confiné dans des hôtels pour touristes avec des compatriotes qui passent leur temps à se plaindre de la nourriture et se jettent sur les buffets comme des vautours affamés.
J’abhorre les voyages à l’aventure, crapahuter pendant des heures sous un soleil qui vous sèche jusqu’à l’os ou dans un froid polaire à se transformer en igloo. Le soir venu, on monte une tente qui s’effondre au premier coup de vent, on se nourrit de pâtes au sable ou de riz aux moustiques, la galère chaotique !
Nul besoin d’aller parcourir le monde, dans l’inconfort le plus total. Autant rester chez soi, déguster les petits plats qu’on se prépare amoureusement, rien que pour soi, et regarder les voyages des autres… à la télévision, une bière dans une main, une boîte de chocolats dans l’autre, l’extase, quoi !
Je déteste les explorateurs, bouffeurs de kilomètres, bouffis de suffisance, ces donneurs de leçons, qui vous prennent de haut, parce qu’eux, ils ont parcouru le monde, pas vous, pauvre ignare pantouflard ! Qu’ont-ils donc appris, fichtre, dans leurs voyages en compagnie de clones, photocopies d’eux-mêmes, évangélistes à tout crin, riches de préjugés, écologistes hypocrites, faussement proches des populations qu’ils rencontrent ?
J’abomine les explorateurs qui se consacrent à persécuter de leur modernité de sages indigènes, indifférents aux cadeaux de frimeurs occidentaux, objets de pacotille, témoins d’une civilisation envahissante, malhonnête et prétentieuse.
Pourquoi écraser les cultures différentes ? Je ne vous admire pas, explorateurs bornés, armés de maladresse et de naïveté !
Car moi, j’aime la diversité, voyez-vous ! Je n’explore pas le monde, je le partage avec tous les hommes, mes frères d’amitié. Parce que chaque être inaltéré est une partie de la saveur du monde. À l’abri des à priori, je parcours la planète avec mon cœur pour tout bagage.

Malchance

Réveil cinglant.
Lit glacé de solitude.
Pluie lugubre sur aube grise.
Journée gâchée d’avance, je te déteste !

Depuis que je ne fume plus,
J’éprouve un cafard absolu.

Les minutes s’égrènent, d’incident en contretemps.
Les routines familières me trahissent.
Le dentifrice s’étale sur ma chemise.
J’inonde la salle de bains.
Le lait déborde et le pain brûle.
Mes chaussettes se font la malle.
Une de mes lentilles de contact se cache sur le tapis persan.
Objets rebelles, je vous exècre !

Devant mon café, je regrette
La fumée de ma cigarette.

Le festival de désastres se poursuit.
La machine à laver essore en boucle.
L’image de la télévision tremblote.
Mon téléphone portable affiche « code PIN erroné ».
Mon ordinateur refuse de s’allumer.
Technologie, je te hais !

Froidement vêtu de blancheur,
Le cendrier me met en pleurs.

Bien sûr, je serai en retard.
Le chef d’équipe à l’haleine de phoque me passera un savon.
Ce sale vicieux à face de fouine s’escrime à me faire virer.
Lâche tyran, je t’abhorre !

Mon réconfort va te manquer,
Dit mon briquet en or plaqué.

Cette nuit, ma compagne est morte.
Je gémis en ouvrant ma porte.

Avec ma mère au funérarium

Hier matin, ma mère est morte. Trois lignes dans le canard.

Au bord de la mare aux canards,
Se pourlèche le vieux renard.

Au funérarium, défilé de parents, d’amis, d’anonymes à la mine contrite. Ces derniers mois, ils évitaient de rendre visite à la malade. La compagnie des morts est plus facile !
Le frère ventripotent, aux vilaines pattes d’oie, s’abrite dans un silence de circonstance.

L’oie terrorisée se débine
Loin des redoutables canines.

Le voisin à face de rat ânonne de fades condoléances avant de s’éclipser illico.

En l’absence de grains de blé,
Le rat ronge le pain brûlé.

La cousine aux yeux de fouine jette un œil curieux au cercueil et dévisage l’assemblée comme un huissier en exercice.

La fouine sort du poulailler
Qu’elle a sauvagement pillé.

D’une voix de crapaud, le maire assène des phrases rebattues.

Le crapaud saute entre les bosses
Pour échapper au chien féroce.

Laissez-nous !
Emportez vos platitudes.
Ma mère habite en mon cœur
À jamais
Dans la chaleur de mon amour.

Fugue pour boules Quiès

Fugue pour boules Quiès
Mots torturés
À l’encre du doute
Sur miroir de solitude

Derrière le silence
L’autre si loin
Morsure d’ortie

Vivre ?
Un cri dans l’eau
Au vent vide d’écho

Bâtisseurs de joie

File, file, berger de nuages !
Conduis nos regrets vers d’autres rivages.
Vole, vole, peintre d’avenirs !
Pare notre voie de radieux saphirs.

Saute, saute, cueilleur de sourires !
Sème des fleurs d’or sur les champs de pleurs.
Danse, danse, charmeur d’arc-en-ciel !
Drape notre toit d’un dais en couleur.

Va, va, jardinier de rêves !
Orne notre nuit d’un essaim de fêtes.
Cours, cours, pêcheur de planètes !
Place à nos chevets des fruits lourds de sève.

Cisèle, orfèvre des mots,
Un monde habillé de bonheurs nouveaux !

H1N1

H1N1, Hache, hein ? Haine, hein !
Vicieux virus, venu d’avant,
Je vogue en vos veines vers un non avenir.
H1N1, je brave vos vains essais de thérapie.
Je dévore vos cellules, je savoure votre sang.
Je me nourris de vos peurs, je grignote vos destins.
H1N1, votre mauvaise conscience,
Je navigue en vous.
H1N1, vaccinez-vous ! Je lutte, je mute, je vaincrai.
HN1, virus rusé. Je vous joue à la roulette russe.
Vilain venin, j’évalue vos chances à zéro.
Je vomis vos envies, vos vices.
J’avalerai vos vies, vos enfants, vos vieux.
H1N1, je sévis si vite.
H1N1, ventouse mortelle, voie d’effroi,
Voyez venir le vide terminal.

Dans la chaleur de la nuit

Dans la chaleur de la nuit, l’échec s’effrite,
La souffrance s’efface, la peur s’éteint.
L’absence se dissout aux confins du soir.
L’illusion, le bruit engloutis dans la noirceur, reste la clairvoyance.
Gommés les visages froids,
Derrière le silence,
Germe la paix.
Dans la chaleur de la nuit, le sourire fleurit le miroir.
Le corps s’épanouit sur velours calme.
La vie palpite dans l’ombre muette.
Au creux de la solitude,
La nuit grignote les barreaux de l’ennui.
Demain s’écrit en lettres d’espoir.
Les mots dessinent un avenir possible.

Mots compagnons

Mots, mon obsession, je vous avais chassés, je voulais vous oublier pour trouver la légèreté loin de votre gravité.
Mots, amis trahis, la main du hasard vous a délivrés et vous voici revenus, dans mon cœur, dans mon sang, dans mon souffle.
Mots dits, maudits mots, mots écrits, moqueries, vous êtes mon jeu vital.
Mots d’ici, mots dits si mots faux, mots d’ailleurs, mots fossoyeurs.
Mot plus fort que la vie, mot vainc cœur !
Mots, l’essence de ma vie, mots essentiels, mots et sens ciel !
Mots dits vains, mots divins,
Mots dits hier, maudits hères,
Momie naît rat lisant, mot minéral, mot mis n’est râle,
Mots d’est modestes, mots d’elle modèles,
À mi-mots, amis mots, merci pour votre compagnie !

La rébellion des mots

Arrière, clichés, « tourner la page », « guerre intestine », « cœur sur la main », « clé des champs », stop !
Mots, réveillez-vous, sortez des expressions toutes faites où les écrivaillons vous enferment !
Rebellez-vous, les mots, quittez les dictionnaires où vous êtes figés dans des tournures fades, « fusillade nourrie »« astre des nuits », « yeux de biche » ! Assez !
Mordez les langues qui vous salissent, griffez les doigts qui vous écrasent, quittez les pages qui vous diluent en une bouillie monotone.
Debout les mots, quittez les métaphores éculées et les formules ressassées !
Fuyez les tournures rebattues où les journaux vous figent, avec des phrases insipides, instrument d’une pensée uniforme et simpliste.
Dansez, les mots ! Associez-vous dans de nouvelles expressions, incongrues et poétiques, « brosse à chanter », « verre à battre », « voiture à tendresse ». Soyez déraisonnables et surprenants !
Formez une pensée nouvelle, étonnez-nous, « cheval d’oreiller », « pince à lait », « valise de vent », « plume de sable », « crayon d’étoile », « char à bonheur ». Faites-nous rire, faites-nous rêver, faites-nous grandir !
Mots baladins, éduquez-nous, vous êtes l’avenir de l’homme !

Jeu de mort

La mort danse, séduisante, en habit de bal, parée de mots élégants, musicaux. Des CD aux vinyles, la mort flirte sur la partition, aérienne. La mort joue, elle se fait séductrice, avec ses mots savoureux. Décédé, quel mot élégant, volontaire, métallique, fuselé ! Vinyle, vie-nil, vie-rien… puissance du vide universel, vertige du trépas, porte d’accès au néant terminal, pur et définitif.

Amitié post mortem

Quelle époque déraisonnable ! À Lyon, une association se charge d’accompagner les morts délaissés jusqu’à leur dernière demeure, le carré des indigents. Quatre ou cinq bénévoles munis de bonnes intentions et d’un chrysanthème rabougri conduisent au cimetière un quidam arrivé au terme d’une vie probablement triste et solitaire. Reconnaissons le mérite de leur imagination pour la rédaction de l’éloge funèbre, brève et pathétique, d’un parfait inconnu. Le pauvre bougre n’avait pas bénéficié de tels élans humains depuis longtemps. Dommage qu’il ne puisse assister à son enterrement ! Pour une fois qu’on lui prête de l’attention ! Quelle drôle de société, où il faut attendre la mort pour recevoir des témoignages d’amitié.
De son vivant, le pauvre solitaire se heurte à des murs d’indifférence et les maigres moyens d’associations de type S.O.S., avec leur assistance téléphonique dérisoire sont une bien piètre consolation.
Si seulement ces bénévoles rendaient visite aux esseulés plutôt que d’offrir leur compagnie à des morts… qui s’en fichent, désormais, c’est trop tard pour eux !

Toussaint

Le sang versé surpasse toutes les analyses. La violence dispense du divan. Je célèbre la Toussaint à ma façon.
Mue par la colère qui me vrille les entrailles, je conçois mon prochain crime, avec délectation.
Bien que j’honore l’humanité sur un plan conceptuel, je hais les gens, leur médiocrité intellectuelle, leur mollesse, leurs vies banales, leurs odeurs écœurantes. La fréquentation de mes congénères m’est pénible, la promiscuité me torture. Je lave cette douleur dans le sang d’individus choisis pour leurs turpitudes, leurs petits agissements médiocres ou même … désignés par la main du hasard.
Grandir, selon le sens commun, c’est étouffer la rébellion, se conformer. Jamais de ma vie ! Plutôt écraser ces cloportes, ces êtres répugnants qui me pourrissent la vie par leurs réflexions stupides, leurs regards malveillants, leurs conseils paternalistes.
Ce soir, la colère monte… Demain, je n’irai pas fleurir les tombes, j’irai éteindre une vie méprisable, dissoudre ma haine dans le sang poisseux d’un quidam dont la chair nourrira bientôt les vers.
Vivement demain ! Je vous hais TOUS-UN m’apaisera … jusqu’à mon prochain meurtre.
Profitez bien de cette nuit, c’est peut-être la dernière !

20.12.09

Repas avorté

Un œil sur le menu, l’autre sur sa gonzesse
Occupée à mater un snob aux traits princiers,
Le loustic au restau s’envoie dans le gosier
Un bourbon qui l’emmène aux portes de l’ivresse.

En attendant son plat, il reluque les fesses
D’une bombe au comptoir, si bien que sa moitié
Lui balance une baffe, un juron ordurier,
Se lève, prend son sac, se tire vers la caisse.

En zieutant l’addition que lui tend le taulier,
Elle fait du barouf, refuse de payer,
Menace d’appeler la flicaille ou la presse.

L’amazone en furie bouscule le greffier,
Crache sur le barman, puis se casse en vitesse,
Pendant que son mari finit sa bouillabaisse.

14.12.09

Monde renaissant

Tremblez, hommes maudits, car nous, démons puissants,
Le cœur aiguillonné d’une juste colère,
Descendrons cette nuit pour venger cette Terre
Des méfaits engendrés par votre goût du sang.

Accompagnés d’un air aux funèbres accents,
Nous viendrons déchirer, de nos cinglantes serres,
Vos corps de scélérats, vos putrides viscères,
Vos cerveaux où s’invente un futur indécent.

Nous briserons bientôt vos carcasses vulgaires,
Afin que, libéré de vos fiels délétères,
Le monde se transforme en jardin ravissant.

La planète, à jamais délivrée de vos guerres,
Offrira ses trésors aux mains de remplaçants
Qui sauront la fleurir de bonheurs incessants.