28.2.05

Silencieuses Moires

Cependant que les dieux enchaînent les festins
Dans l’Olympe en l’honneur de leur immense gloire,
Trois inflexibles sœurs, les silencieuses Moires
Trament assidûment les décrets du destin.

Tandis que les mortels, mus par de vils instincts,
Luttent pour emporter de fugaces victoires,
Les filles de la Nuit composent le grimoire
D’un futur parsemé de conflits byzantins.

Tisseuses appliquées du berceau de l’histoire,
Elles offrent aux morts de marquer la mémoire
Des hommes jusqu’au creux de l’avenir lointain.

Plutôt que d’insuffler des peurs prémonitoires
Dans les âmes pétries de rêves clandestins,
Elles tranchent leur sort d’un mouvement certain.

Bruyante laverie

Dans la bruyante laverie
Envahie d’inconnus pensifs,
J’observe d’un œil possessif
Le ballet de ma lingerie.

Excédée par les moqueries
D’un gosse affublé d’un canif,
Je l’étends d’un coup décisif
Devant sa princesse ahurie.

Un adolescent maladif
Souffle dans un préservatif
Pour amuser la galerie.

Quand un malabar agressif
Enlève ses nippes pourries,
Je file à la boulangerie.

27.2.05

Fée musicienne

Aussitôt que la nuit étend son voile noir
Sur la ville où s’agite une faune bruyante,
Apparaît une fée dont la guitare chante
Un hymne débordant d’un insolent espoir.

Des nuages épais commencent à pleuvoir
Une averse serrée dont les gouttes luisantes
Unissent aux accords leurs notes élégantes
Pour charmer les curieux plantés sur le trottoir.

Quand le souffle cuisant d’une brise violente
Emporte l’instrument, une brusque épouvante
Martèle le public de ses coups de boutoir.

Lorsque le ciel revêt les lumières sanglantes
D’une aurore glacée comme un fil de rasoir,
La belle s’évanouit vers les portes du soir.

Marionnette rêveuse

Murée dans sa carcasse molle
Que laboure un chat pestilent
Au miaulement horripilant,
La marionnette se désole.

En rêve, la poupée s’envole
Dans les bras d’un prince galant,
Monté sur un étalon blanc
Qui, jusqu’à l’aube, caracole.

Sitôt que le soleil brûlant
Caresse son corps indolent,
Elle amorce une danse folle.

Lorsque son maître turbulent
Rentre de sa journée d’école,
Elle prie pour qu’il la cajole.

26.2.05

Soirée sportive

Vautré sur le divan, le loustic furibard
Regarde à la télé la défaite sévère
De son club de football, en éclusant des verres
Sous les yeux intrigués de son sage têtard.

Quand le type se met à siffler les nullards
Que terrasse aujourd’hui une équipe étrangère,
Le greffier, que le sport à l’écran exaspère,
Se venge en déféquant fissa dans un placard.

Sourde à l’agitation du lascar, sa bergère,
Retirée dans la piaule, essaie de se soustraire
Aux griffes de l’ennui en lisant un polar.

Le matou, enchanté que personne ne flaire
Son forfait, s’enhardit à pisser sur le gnard
Que sa mère punit d’une volée de chtars.

Démence champêtre

Près d’une rivière, un renard
Observe un lièvre qui s’élance
Vers un jardin lourd d’un silence
Revêtu d’un épais brouillard.

Sur l’onde s’agite un canard
Qui nasille avec insolence,
Tandis que le soleil commence
À répandre ses rais blafards.

Une brise tiède balance
Les branches où une abondance
D’insectes court de toute part.

Mû par un accès de démence,
Un chasseur tue son chien bâtard
Qu’il abandonne aux charognards.

25.2.05

Innocent Pâris

Seul avec son troupeau, le tendre Pâris pense
À sa nymphe adorée, la superbe Œnoné,
Quand paraît brusquement sous son œil étonné
Hermès venu régler un conflit d’importance.

Le messager de Zeus, qu’amuse l’innocence
Du modeste berger, l’invite à décerner
Le prix de la beauté, un concours couronné
Par une pomme d’or, symbole d’élégance.

Trois charmeuses splendeurs défilent sous le nez
Du jeune homme fringant, inapte à dominer
Le désir insolent qui trouble sa conscience.

Lorsque Vénus promet au naïf passionné
Un avenir pétri d’amour en abondance,
Il lui lance en retour le fruit de l’excellence.

Poème nocturne

Quand la nuit lâche dans la ville
Une armée de spectres furieux,
Prompts à contraindre les curieux
À regagner leur domicile ;

Quand la froidure se faufile
Au creux des jardins silencieux,
Infestés de clochards pouilleux
Que malmènent d’affreux vigiles ;

J’oppose aux démons pernicieux,
Tapis dans mon esprit soucieux,
L’ardeur de mes vers volubiles.

Les phrases dansent sous mes yeux
Un ballet vif où se profile
Un poème à la joie fertile.

24.2.05

Pomme de la discorde

Au banquet célébrant les tendres épousailles
De Thétis et Pélée, le roi des Myrmidons,
Jupiter, rayonnant, s’en met plein le bidon,
À l’abri des humains assoiffés de batailles.

Quand débarque au milieu des célestes ripailles
Discorde, une poison renommée pour son don
De jeter au hasard de séditieux brandons,
La gaieté avinée de l’Olympe s’écaille.

L’intruse au cœur cruel, tapissé de chardons
Dont le venin dissout les traits de Cupidon,
Lance une pomme d’or parmi les cochonnailles.

Loin des mets généreux, laissés à l’abandon,
Les divines beautés, que la fierté tenaille,
Sèment en s’opposant une affreuse pagaille.

Aile de la nuit

Nuit, déroule ton aile immense
Sur les foyers de la cité,
Pour que les hommes éreintés
S’endorment dans ta bienveillance.

Étends ton voile de silence
Sur la ville, afin d’abriter
Les rêves forts d’une gaieté
Prompte à éteindre les souffrances.

Drape les esprits survoltés
Dans ton berceau de volupté
Fleuri de tendres confidences.

Pose au firmament quantité
D’astres, avant que ne s’élance
Un soleil lourd d’indifférence.

Sapins enneigés

Grisés de solitude
Les sapins se balancent
Sous le vent du hasard

Le givre perle
Sur les branches
Lourdes de silence

Le jour suffoque
Dans le brouillard
Indifférent

L’avenir se dilue
Dans la neige
De l’amnésie

23.2.05

Ouragan rédempteur

Quand, le cœur lacéré par les coups de poignard
D’amitiés parsemées de trahisons amères,
Je quitterai le lit de mes peurs solitaires
Pour mener ma carcasse au port de nulle part ;

Quand, l’esprit envahi de cuisants cauchemars
Tramés par une armée de démons, qui m’enserre
Dans une nuit bardée de regrets délétères,
J’allongerai mon corps à l’abri des regards ;

Dissémine, Ouragan, mes peines ordinaires,
Avant de m’entraîner sur ton aile légère
Hors du carcan glacé de mes regrets épars.

Conduis-moi au pays des rires salutaires,
Dont le soleil complice éclaire les remparts
Où résonnent les chants que tu joues au hasard.

Dédale et Icare

Tandis que la colère égare
Minos vers des desseins odieux,
Dédale et son fils malicieux
Fuient loin de ses soldats barbares.

Sitôt que le fougueux Icare,
Mû par un désir impérieux,
S’élève en solo dans les cieux,
Une tragédie se prépare.

La chaleur du soleil radieux
Dissout les ailes du curieux
Dont la mer avide s’empare.

Malgré la cruauté des dieux,
Le vieillard aux plumes bizarres
Se pose à Cumes en fanfare.

22.2.05

Arche du hasard

Dans l’arche dérobée du hasard facétieux,
Une chèvre timide éconduit les avances
D’un dragon exalté dont l’aigre pestilence
Inspire aux animaux des haut-le-cœur odieux.

Sitôt que le soleil darde ses rais soyeux,
Un coq entonne un chant débordant d’espérance,
Pendant qu’un étalon esquisse un pas de danse
Sur le pont où s’étire un renard silencieux.

Une chatte bondit sur un gorille immense
Qui, pour s’en dépêtrer, lourdement se balance
Sous l’œil indifférent d’un léopard pouilleux.

Un sanglier râblé aiguise ses défenses
Contre le mât où campe un roitelet joyeux
Dont le gazouillement illumine les cieux.

Hospice funeste

À la fenêtre de l’hospice,
L’aïeul agite son foulard
Vers son fils qui, sans un regard,
Quitte à pas pressés l’édifice.

Le front de l’ancêtre se plisse
Quand tourne au coin du boulevard
Son inflexible enfant qui part
Loin de son injuste supplice.

Dans son lit glacé, le vieillard
Gémit sous les coups de poignard
De sa mémoire accusatrice.

Il sombre dans un cauchemar,
Pendant que l’obscurité tisse
Les rets d’une mort rédemptrice.

21.2.05

Café du bonheur

Dans une nuit paisible où les rayons lunaires
Accompagnent mes pas sur le chemin en fleurs,
Je me laisse emporter par le vent du bonheur
Vers un café peuplé de belles étrangères.

Grisée par la gaieté d’une chanson légère
Dont les notes ponctuent le ballet des serveurs,
Je regarde une fille au visage enchanteur,
Qu’un ivrogne agonit de railleries vulgaires.

Sitôt que le butor exhibe un poing trembleur
Devant l’œil affolé de la gazelle en pleurs,
Je sens sourdre en mon être une vive colère.

D’une main résolue, j’agrippe le gêneur
Que je livre en pâture à deux affreux cerbères,
Pendant que la poupée rit derrière son verre.

Marionnette rebelle

Une élégante marionnette,
Lassée du montreur aviné
Qui se plaît à la malmener,
Trame une vengeance secrète.

Dès que l’homme tourne la tête,
La rebelle essaie d’entraîner
Dans un ballet désordonné
Les amis que le sort lui prête.

Tandis qu’un pantin boudiné
S’agite à un rythme effréné,
La mutine file en cachette.

Quand se met à carillonner
La cloche qui conclut la fête,
Un camion heurte la coquette.

20.2.05

Mort légère

De mon âme pétrie d’une vive espérance,
Les anges du néant ont arraché les fleurs,
Avant de m’allonger sur un lit de douleur,
Où les crocs du regret attisent ma démence.

Dans la nuit barbelée d’un ténébreux silence
Dont les lames glacées me déchirent le cœur,
Je vois poindre au lointain les vermeilles lueurs
Du soleil prisonnier d’un sarcophage immense.

Dans mes veines s’écoule un sang dévastateur
Qui dissout l’avenir en vagues de terreur,
Dont l’âpre grondement hante mon existence.

Quand siffle à mon oreille un vent annonciateur
D’un matin infesté d’effroyables souffrances,
Je prie pour que la mort hâte ma délivrance.

Triste cirque

Dans une explosion de lumière,
Apparaît l’auguste farceur
Dont l’inimitable lourdeur
Promet des rires incendiaires.

Mû par une aigreur coutumière
Qu’attisent ses peines de cœur,
Le vieux prestidigitateur
Roule le clown dans la poussière.

D’une ruade rancunière,
Le cheval jette l’écuyère
Dans les pattes du lion rageur.

Quand une canette de bière
Atterrit sur le voltigeur,
Il tombe en hurlant de terreur.

19.2.05

Joueur forcené

Tandis que sa poupée s’active à sermonner
Les têtards occupés à orner le caniche
D’un tribal au moyen de son rimmel fétiche,
Le mec à son clavier hurle comme un damné.

Le cador de la zone essaie de pilonner
Les lignes avancées d’un ennemi fortiche
Dont le clan ténébreux des princes de la triche
Copie en loucedé les pièges raffinés.

Quand sa mère, affublée d’un cerveau de pois chiche,
Pourchasse le greffier qui brise une potiche,
Le joueur, excédé, préfère abandonner.

Pendant le déjeuner, il enfourne une quiche
Arrosée de pinard, avant de retourner
Livrer contre l’ennui un combat acharné.

Charme du soir

Lassé d’arpenter les trottoirs
D’une cité où ses souffrances
Indiffèrent la foule immense,
L’étranger finit par s’asseoir.

Quand le ciel se met à pleuvoir
Un crachin dont les gouttes denses
Dissolvent les rets du silence,
L’homme voit pointer un espoir.

Il célèbre sa délivrance
En dégustant des cafés noirs
Avec des frères de comptoir.

Dès que dans le bistrot s’avance
La princesse de son enfance,
Il succombe au charme du soir.

18.2.05

Outils fringants

Tandis que le marteau s’évertue à planter
Un clou de fer rouillé dans un rayon en chêne,
L’inflexible rabot vaillamment se démène
Pour aplanir le flanc d’un buffet marqueté.

La lame de la scie s’active à débiter
Une étagère ornée de fines porcelaines
Que le maillet puissant pulvérise sans peine
En poussière légère aux coloris lactés.

Le scalpel déchiquette un matelas de laine,
D’où des billets en francs s’échappent par centaines,
Pendant que le balai s’escrime à les dompter.

Lorsque la nuit étend sa voilure d’ébène,
Les outils, épuisés, cessent de s’agiter,
Avant de regagner leur écrin argenté.

Espoir nocturne

Lassée d’inspecter ses tiroirs
Bondés de souvenirs fragiles,
La noctambule se faufile
Dans le dédale des trottoirs.

Tendue comme un fil de rasoir,
La gazelle arpente la ville
Où des quolibets volubiles
Nourrissent ses papillons noirs.

À l’abri des portraits hostiles
Qui ternissent son domicile,
Elle voit fleurir un espoir.

Un néon tremblotant profile
Un minois prompt à l’émouvoir
Parmi la faune d’un comptoir.

17.2.05

Clé à molette

Dans la boîte à outils, une clé à molette
Écrasée sous le poids d’un antique marteau
Prie pour qu’un bricoleur la conduise bientôt
Loin du tiroir obscur où la rouille la guette.

Lorsque l’étroit faisceau d’une lampe s’arrête
Sur le corps azuré d’une scie à métaux
Afin de l’inviter à quitter son plateau,
La délaissée conçoit une rancœur secrète.

Quand, d’une main brutale, un effronté costaud
Jette sur sa carcasse un imposant étau,
La belle entend sonner le tocsin dans sa tête.

Sitôt qu’un inconnu au visage en couteau
Entreprend d’écarter sa mâchoire d’athlète,
Elle oppose au gêneur une inertie parfaite.

Éros radieux

Écœuré par l’odeur des roses
Qui marquent la Saint-Valentin,
Éros, le lendemain matin,
Sombre dans des pensées moroses.

Lassé de défendre la cause
De l’amour chez les philistins
Dont il hait les grossiers instincts,
Près de Psyché, il se repose.

Au fil des frissons clandestins
Que ponctuent leurs baisers mutins,
Se construit leur radieuse osmose.

Au lieu d’orchestrer le destin
D’impertinents qui l’indisposent,
Il sourit à leur joie éclose.

16.2.05

Éros et Psyché

Plutôt que de tirer ses flèches dans les cœurs
Afin que la passion prestement s’y propage,
Éros court chez Psyché sur l’injonction sauvage
D’Aphrodite qu’effraie sa notoire splendeur.

En secret de sa mère aux desseins batailleurs,
Il conduit la beauté vers un soyeux rivage
Où se dresse un palais dont le faste présage
Un avenir gorgé de plaisirs enchanteurs.

Ivres de jalousie, ses sœurs aînées engagent
L’amante à démasquer le curieux personnage
Qui fuit dès que l’aurore essaime ses lueurs.

Aussitôt qu’une lampe éclaire son visage,
Le dieu quitte les lieux de leur ardent bonheur,
Tandis que l’ingénue déplore son erreur.

Petite aiguille d’horloge

Dans la grande horloge murale,
Drapée d’un colossal ennui,
La petite aiguille poursuit
Sa partenaire qui cavale.

La régularité spirale
De ses pas dévide la nuit
En faisceau de chagrins détruits
Par l’aurore aux lueurs d’opale.

Elle s’achemine sans bruit
Vers le matin nouveau où luit
Un soleil à la joie lustrale.

Poussée par le quartz qui conduit
Sa marche aux enjambées égales,
Elle prie que le temps s’emballe.

15.2.05

Christ malmené

Dans un quartier fangeux d’une cité austère,
Le Messie, mandaté par le Maître des cieux,
Fulmine en essuyant les sarcasmes odieux
De voyous applaudis par des souris vulgaires.

La tunique inondée par une pluie amère,
Jésus, frigorifié, supplie ardemment Dieu
De le réconforter par un soleil radieux
Au lieu de le laisser patauger sur la Terre.

Sur un trottoir bondé de flâneurs silencieux,
Le Christ éclate en pleurs quand un corniaud pouilleux
Lui déchire la main en jappant de colère.

Avant de s’échapper de ce monde furieux,
Le Sauveur se réchauffe en éclusant des verres
Dans un bar infesté de païens solitaires.

Lame du désespoir

Quand les fantômes de la nuit
S’activent à semer des drames
Dans les méandres de mon âme
Drapée d’un abyssal ennui ;

Quand l’écho de rires enfuis,
Saupoudrés d’un parfum de femme,
Hante le silence où se trament
Les peurs de mon cœur éconduit ;

Quand l’ange du néant entame
Un chant dont les notes infâmes
Soulignent mes rêves détruits ;

Pourquoi me soustraire à la lame
Du désespoir, qui s’introduit
Dans mon insomnie d’aujourd’hui ?

14.2.05

Vieillard taciturne

Sourd aux péroraisons de son gendre notaire
Qui fixe la tablée avec sévérité,
Le vieux coriace adresse un sourire édenté
Au gamin qui tripote une pomme de terre.

Pour conjurer l’ennui d’un dimanche ordinaire,
Que ponctue une horloge au pas désenchanté,
L’ancêtre taciturne écluse quantité
De ballons d’un picrate à la saveur amère.

Au terme d’un repas inapte à déliter
Les regrets que trahit son visage buté,
Il trouve dans l’ivresse un plaisir éphémère.

Quand l’aile de la nuit s’active à emporter
Ses enfants au pays des voluptés légères,
Il réchauffe son cœur auprès de sa bergère.

Tendre Saint-Valentin

Le jour de la Saint-Valentin,
Les cœurs amoureux caracolent
En une ardente farandole
Qu’égaie un soleil cabotin.

Sur la blanche peau de satin
De leur princesse, batifole
La bouche des amants frivoles,
Avides de frissons mutins.

Au lieu de se perdre en paroles,
Les couples radieux se cajolent
Au gré de leurs tendres instincts.

Sitôt que la pudeur s’envole,
Des flots de rires argentins
Déferlent sur les libertins.

13.2.05

Vieillard radieux

Pour échapper aux rets de l’ennui ordinaire,
Le vieillard rabougri se réfugie au creux
Des tendres souvenirs de son passé heureux,
Enflammé par l’espoir des années d’après-guerre.

Tandis que ses enfants essaient de le soustraire
À la monotonie de son logis ombreux,
Il s’envole en solo dans les replis fiévreux
De ses rêves secrets de gamin solitaire.

Au lieu de supporter les laïus doucereux
De sa femme bardée de regrets ténébreux,
Il orne son hiver de rires salutaires.

Afin d’ensevelir les fantômes affreux
Qui martèlent son cœur de litanies amères,
Il construit un jardin de joies imaginaires.

Christ envolé

Sur sa croix, le Christ, silencieux,
Assiste au début de l’office
En guettant le moment propice
À son envolée vers les cieux.

Durant le sermon ennuyeux,
Le Messie, excédé, se glisse
Jusqu’à l’autel où le calice
S’écroule avec un bruit odieux.

Tandis que le sacristain plisse
La bouche en un rictus complice,
Jésus quitte en hâte les lieux.

Sitôt que le curé esquisse
Un signe en direction de Dieu,
Le Sauveur lui ferme les yeux.

Carrefour des possibles

Au carrefour des possibles
Le temps se fige
Sous le givre du silence

Le manteau cotonneux
Des souvenirs
Encombre l’âme

L’avenir retient son souffle
Devant les rêves transis

Un frisson de vent disperse
La brume de l’ennui

L’écho d’un rire
Effrite les chaînes du regret

La peur s’éteint
Dans la neige de l’innocence

12.2.05

Deux marguerites

Dans un champ de maïs qu’une brise légère
Berce sous la clarté du soleil estival,
Deux marguerites jouent un ballet végétal
En ployant de concert leur tête vers la terre.

Aussitôt qu’apparaît dans un bruit de tonnerre
Un monstre pestilent, habillé de métal,
Que conduit un sauvage au visage brutal,
Les belles ingénues frissonnent de colère.

Tandis que les assauts du colosse infernal
Délitent l’harmonie du décor pastoral,
Le tandem se revêt d’une inertie amère.

Dès que la nuit s’avance, un silence abyssal
Envahit le bocage où les rayons lunaires
Orchestrent sur les fleurs une danse éphémère.

Amour sénile

Au déjeuner du samedi,
Le débris qui sucre les fraises
Se barbouille de mayonnaise,
Pendant que sa femme applaudit.

Devant le journal de midi,
Il fulmine sur les fadaises
De la démocratie française
Que souille une armée de bandits.

Il se balance sur sa chaise,
Si bien que sa carcasse obèse
S’effondre au milieu du taudis.

En lui replaçant sa prothèse,
La vioque, excitée, s’enhardit
À baiser son corps rebondi.

11.2.05

Restaurateur malhonnête

Dans sa banque cossue, un requin vocifère
Contre un restaurateur qui truque son bilan,
Avant de mandater auprès de l’insolent
Un as de la finance à la mine sévère.

Pendant que le vautour épluche son affaire,
Le margoulin s’envoie des ballons de vin blanc
Au comptoir d’un troquet infesté de merlans
Qui s’allient pour gruger des souris étrangères.

À la tombée du soir, le corniaud chancelant
S’arrache en bougonnant pour prendre le volant
D’une épave empruntée à sa douce bergère.

À l’entrée d’un village, un camion rutilant
Emboutit le tacot dont renonce à s’extraire
Le tricheur maladroit que son trépas libère.

Grand-père gâteux

À la table du déjeuner,
Le grand-père gâteux retrace
Ses aventures de bidasse
Devant ses enfants consternés.

Sur le visage gangrené
De verrues de l’ancêtre passe
L’ombre d’un souvenir salace,
Qu’il balaie d’un rictus gêné.

À la ratatouille fadasse,
Il préfère l’aigre vinasse
Qui rougit son regard borné.

Pendant que sa bru débarrasse,
Le vieux, lassé de bougonner,
Pique soudainement du nez.

10.2.05

Démence poétique

Dans la prison glacée de ma démence amère,
Barbelée de démons qui tissent mes douleurs,
Je déconstruis ma vie en sonnets pourfendeurs
De ma gaieté nourrie de rêves solitaires.

Loin de l’agitation des rues où prolifèrent
Des grappes d’inconnus habillés de froideur,
J’affronte mon cahier dont l’hostile blancheur
Proclame l’extinction de ma verve lunaire.

Les griffes du regret me déchirent le cœur
En souvenirs cuisants dont les vives couleurs
Insufflent à ma plume un élan salutaire.

Quand le soleil étend ses premières lueurs
Sur ma page noircie d’images délétères,
Je sombre dans le puits du silence ordinaire.

Bulletin champêtre

Au milieu d’un jardin fleuri
De chatoyantes primevères
Que berce une brise légère,
Trottine un groupe de souris.

Sitôt que le ciel assombri
Se répand en coups de tonnerre,
Les rongeurs filent ventre à terre
Vers un amas de fruits pourris.

Une belliqueuse vipère,
Que ce tintamarre exaspère,
Jaillit soudain de son abri.

Au matin, les rayons solaires
Dansent sur les corps à poil gris,
Que dévore un loup amaigri.

9.2.05

Rade sinistre

Dans une rue obscure au seuil de nulle part,
Une souris alpague un pigeon solitaire,
Avant de le plumer au bout de quelques verres
Dans un rade infesté de pécores braillards.

Accoudé au comptoir, un bourgeois en costard
Se biture au whisky afin de se soustraire
Au piège de l’ennui, que dresse sa bergère
Dans le logis cossu où beugle son têtard.

Dans un coin de la salle, une belle étrangère
Agonit un cochon qu’un belliqueux cerbère
S’empresse de flanquer à la porte du bar.

Imbibée de porto, une affreuse vipère
Déverse sa rancœur sur son jules soiffard
Qui, las de l’affronter, dévisse son billard.

Mort d’un chat

Un matou de radieuse humeur
Se promène sur la terrasse
Où sa maîtresse se prélasse
En compagnie d’un séducteur.

Tapi devant un bac à fleurs,
Le chat observe une limace,
Avant de partir sur les traces
D’une famille de rongeurs.

Le félin obstiné pourchasse
Les souris au fond d’une impasse,
Où l’écrase un vélomoteur.

Sur la moribonde carcasse
De l’infortuné prédateur,
Se précipite un rat couineur.

8.2.05

Daronne étourdie

Devant le bac à sable, où s’ébat son têtard,
Une fière gazelle à la taille légère
Oppose aux railleries d’une vieille vipère
Les diamants insolents de son âpre regard.

Sitôt qu’un bataillon de venimeux zonards
Surgit en l’accablant de sottises vulgaires,
La souris se déverse en jurons de colère,
Avant de déguerpir en oubliant son gnard.

Pendant que son lardon sanglote en solitaire,
La poupée se requinque en éclusant des verres
Dans un troquet bondé de ténébreux loubards.

Dès que le pépiement d’une poule lacère
Son rêve cotonneux tissé par le pinard,
La daronne étourdie court chercher son moutard.

Gracile marguerite

Entourée de chardons en fleur,
Dont les piquants sournois l’irritent,
Une gracile marguerite
Frémit sous un zéphyr charmeur.

Sitôt que les tièdes lueurs
Du soleil printanier délitent
L’antre de la nuit, elle invite
L’œil à contempler sa blancheur.

Lorsqu’une main rude s’agite
À son pied, elle sollicite
L’aide d’un orage vengeur.

Quand un amant la décapite
Afin d’égrener son bonheur,
L’innocente, effeuillée, se meurt.

Chemin du hasard

Le temps s’écoule
Sur le chemin du hasard

Dans le dédale de la mémoire
Meurent les regrets

Le vent emporte les blessures
Au-delà de l’horizon vacillant

Le silence abolit la peur
Demain le soleil peut-être

L’avenir s’étend à portée d’espoir
Le pas s’accélère
Sous un ciel irrésolu

7.2.05

Chronique champêtre

Sur le mur du jardin, un crapaud solitaire
Coasse sa tristesse à l’approche du soir,
Jusqu’à ce que surgisse un hirsute chat noir
Qui dévore l’affreux dont les cris l’exaspèrent.

Plutôt que d’affronter le matou en colère
Aux griffes plus aiguës qu’un tranchant de rasoir,
Une souris bondit au creux d’un arrosoir,
Où la mord aussitôt une agile vipère.

Des nuages épais commencent à pleuvoir
Sur les branches d’un chêne, où se promène un loir
Qui succombe en tombant sur le toit d’une serre.

Un escargot dodu s’extirpe du lavoir
Pour aller s’empiffrer de chicorée amère
Imbibée d’un poison qui lui troue les viscères.

Souris égarées

Perdue dans une ville austère
Qu’étouffent des nuages gris,
Une famille de souris
Regrette ses chemins de terre.

Dans le quartier de la misère
Qu’un bataillon de sans-abri
Souillonne de déchets pourris,
Les rongeurs croisent des confrères.

Un groupe de rats amaigris
Lance des regards de mépris
Vers les champêtres mammifères.

Un chat sauvage mal nourri
Dévore les bêtes vulgaires
Dont les couinements l’exaspèrent.

6.2.05

Bestiaire citadin

Dans les rues assombries gambadent des gazelles
Sourdes aux compliments des minets du quartier,
Cadors de pacotille en costume rayé
De couleurs assorties au gris froid des poubelles.

Sous un porche puant, une aigre sauterelle
S’inocule un poison inapte à égayer
L’avenue infestée de porcs dont les billets
Paient le prix d’un écart à leur ennui fidèle.

Dans un commissariat, un maquereau grossier
Insulte une souris qui tire d’un dossier
Les plaintes enflammées des poules qu’il harcèle.

À l’abri des dragons pressés de les marier,
Deux ardents tourtereaux filent à tire-d’aile
Vers le jardin secret de leur passion nouvelle.

Inspiration nocturne

Pendant que l’écrivain compose
Un poème triste à pleurer,
Sa muse essaie de l’attirer
Vers le lit pour qu’il se repose.

Dans le carcan de ses névroses,
Il forme des vers saupoudrés
De souvenirs désespérés,
Mêlés à la cendre des choses.

Il façonne un sonnet paré
De ses regrets surgis au gré
Des ans dont le poids l’indispose.

Quand le soleil vient éclairer
Son ouvrage aux strophes moroses,
Il sourit à l’aurore éclose.

5.2.05

Radieux rivages

Aussitôt qu’un sourire éclaire ton visage,
Je sens sourdre en mon cœur un flamboyant espoir
Prompt à chasser l’essaim de mes papillons noirs,
Si bien que j’entrevois un futur sans nuages.

Lorsque ta voix pétrie d’une gaieté sauvage
Interrompt la lecture où j’essaie de surseoir
À l’ennui qui m’étreint à l’approche du soir,
Je quitte mes démons pour un tendre voyage.

Dès que tu me conduis au hasard des trottoirs
Sous un ciel qui, conquis, se retient de pleuvoir,
J’oublie les cauchemars qui trament mon naufrage.

Quand ton regard brûlant d’un insolent pouvoir
Me convie à cueillir le plaisir qu’il présage,
J’aborde dans tes bras à de radieux rivages.

Esquimaux

Sur la banquise, un Esquimau
S’imbibe de whisky sans glace,
Tandis que sa femme rêvasse
D’excursions à dos de chameau.

Cependant que les deux marmots
Finissent leurs devoirs de classe,
L’homme enivré part à la chasse
Avec pour fusil un plumeau.

Quand une sournoise crevasse
Happe sa pesante carcasse,
L’Inuit se noie prestissimo.

Sa veuve implacable remplace
L’alcoolique par son jumeau,
Habile tueur d’animaux.

4.2.05

Animaux funestes

Aussitôt que le ciel déverse sur la Terre
Des chapelets d’éclairs, qui frappent au hasard
Les dormeurs assaillis de cuisants cauchemars,
Déferle dans la ville un troupeau de panthères.

Dans le jardin éclate un fracas liminaire
Au fulgurant essor d’une armée de busards,
Tandis que des corbeaux jaillis de toute part
Piquent sur la cité en craillant de colère.

Un bataillon visqueux de venimeux lézards
Avance en rangs serrés au gré des boulevards
Où grouillent des essaims d’affreux coléoptères.

Aux portes du matin, des nuées de cafards
Inondent les foyers où les rayons solaires
Dansent sur les humains un ballet funéraire.

Bestiaire du Grand Nord

Perdu sur un glacier polaire
Dans la froidure du Grand Nord,
Un pingouin gémit sur le sort
Qui le prive de ses compères.

Pendant qu’un phoque solitaire
S’extrait de l’onde avec effort,
Un renard blanc hurle à la mort
Sous les yeux blasés de ses frères.

Sitôt que leur enfant s’endort,
Deux pétrels prennent leur essor
Pour une pêche alimentaire.

Un loup déchiquette le corps
D’un caribou dont les viscères
Exaltent sa faim sanguinaire.

3.2.05

Avenir lumineux

Sur les chemins radieux où le hasard me porte,
Je cueille des bonheurs que j’assemble à loisir
En gerbes de sonnets empressées de fleurir
Sous les tièdes rayons du soleil qui m’escorte.

Tandis que l’écheveau de mes amitiés mortes
Se dévide en ruban de pâles souvenirs,
Je me laisse entraîner par l’aile du zéphyr
Vers un monde gorgé de joies de toutes sortes.

Sous la voûte parée d’un manteau de saphir,
J’avance en solitaire au gré de mes désirs
Que ponctuent les refrains que je chante à voix forte.

Mon voyage me mène au seuil d’un avenir,
Où l’ange de l’espoir, d’un sourire, m’exhorte
À terrasser mes peurs dont pointe la cohorte.

Amour détruit

Quand le silence de la nuit
Succède à nos luttes sauvages,
J’entreprends un sombre voyage
Au creux de notre amour détruit.

Tandis que ta rancœur conduit
Notre unisson vers le naufrage,
J’inonde de whisky hors d’âge
Le désespoir qui me poursuit.

Les effrayants accès de rage,
Qui te déforment le visage,
Remplacent nos plaisirs enfuis.

Ta dureté me décourage,
Si bien que je pleure sans bruit
Sur notre conflit d’aujourd’hui.

Bestiaire urbain

Damazone : La damazone est une sorte de gazelle citadine dont les sourires aguichants excitent les malobiles et les poulaineux. Son costume chatoyant boudine son corps flasque et généralement malodorant. Cette bête fragile nécessite des brossages fréquents.

Malobile : Le malobile est un mammifère râblé, muni de roues amovibles. Il carbure au pinard et se déplace en bande. Habituellement amorphe, le malobile s’agite en présence de damazones ou de poulaineux.

Poulaineux : Le poulaineux, plus connu sous le nom de flickenboule, vit dans des cages enfumées où il tape le carton en éclusant le whisky confisqué aux malobiles qu’il alpague dans ses chasses nocturnes. Cet animal est affublé d’un pissaulait dont le mauvais usage décime ses congénères et les espèces sucementionnées.

2.2.05

Désespoir tenace

Sous la voûte étoilée d’un insolent été,
Je flâne dans les rues dont la gaieté efface
Les chagrins ténébreux qu’ourdit la main vorace
Du démon qui s’acharne à me persécuter.

Les accords chatoyants d’un orchestre exalté
Conduisent ma virée vers une étroite place
Où les rires bruyants des couples qui s’enlacent
Consolent les regrets de mon cœur attristé.

Avant que les lueurs de l’aurore ne fassent
Refleurir les chardons de mes peines tenaces,
Je poursuis ma balade au creux de la cité.

Dans un troquet désert où le whisky sans glace
Échoue à prolonger mon voyage enchanté,
Je cède au désespoir qui revient me hanter.

Mort libératrice

Au tréfonds de mes nuits amères,
Mon âme distille un poison
Que ma plume épanche à foison
Dans mes poèmes solitaires.

Au creux de ma peine sévère,
Nourrie de sombres trahisons,
Je compose les oraisons
De mes amitiés délétères.

Je me dessèche au diapason
Des rêves que ma déraison
Souille de souvenirs polaires.

Enfermée dans l’aigre prison
De mon désespoir ordinaire,
Je prie que la mort me libère.

1.2.05

Jeu de loto

Vivement projetées sur la paroi de verre
Devant les yeux fiévreux d’innocents zigotos
Avides d’acquérir un trésor au loto,
Les boules colorées s’agitent dans la sphère.

Tandis que le destin attrape dans ses serres
Des belles affolées qu’il expulse aussitôt,
Leurs consœurs continuent leur course incognito
En priant d’échapper au gouffre délétère.

Dans un déferlement de cognements brutaux,
La griffe du hasard conclut le concerto
Des numéros porteurs d’espérance éphémère.

Cependant que s’enfuient les rêves de châteaux
Des perdants qui, rageurs, jettent leur grille à terre,
Les gagnants louent le sort qui pourfend leur misère.

Amour échoué

Au rythme des jurons odieux
Que tu me vomis à la face,
Mes tendres sentiments s’effacent
Dans les pleurs qui me noient les yeux.

Pendant que notre accord radieux
Succombe à ta haine vorace,
Je lave de whisky sans glace
La froideur du soir silencieux.

Les conflits incessants remplacent
Nos frissons que l’oubli menace
D’offrir au néant malicieux.

Notre amour échoue dans l’impasse
De nos mensonges pernicieux,
Avant-coureurs de nos adieux.