Dans mes souvenirs, mon parrain, c’est un parfum étonnant, mélange d’odeurs de tabac et d’herbe coupée, un regard pénétrant et rieur, une émotion prête à s’exprimer mais retenue par habitude et par pudeur.
Mon parrain, cet homme distant et attentif à la fois, m’a toujours fascinée. C’est le compagnon de jeu de mon enfance, le grand frère que je n’ai jamais eu, mon confident, le membre de ma famille le plus proche de moi après mon père et ma mère dont il ne possédait pas l’autorité parentale qui bride les élans.
C’est l’homme qui m’a fait découvrir les plaisirs de la campagne tranquillement, au rythme de la respiration de la nature pendant que mes parents menaient une vie trépidante de parisiens débordés par les tâches quotidiennes.
C’est celui qui m’a conseillée patiemment au cours de longues parties de pêche en barque silencieuses et intimes sur la Saône dorée par le soleil.
C’est aussi celui qui m’a appris à reconnaître les arbres en fonction de leur silhouette, de leur écorce, de leurs feuilles, à distinguer un chêne majestueux d’un bouleau élancé. Nous avons passé de longues heures en harmonie avec la nature, à l’écouter et à la respirer en silence, apaisés par sa beauté simple.
Mon parrain, c’est aussi l’homme des pommes de terre cuites sur la braise et mangées très vite entre deux séances de débroussaillement dans la petite forêt familiale.
C’est le dévoreur de bandes dessinées bon marché, des histoires de cow-boys qui ravissaient la gamine de dix ans que j’étais.
Mon parrain, c’est l’homme qui vivait encore chez sa mère, ma grand-mère, à trente ans, sans responsabilité familiale, ce qui favorisait notre complicité de l’époque.
Mon parrain, c’est malheureusement l’homme qui s’est laissé mourir d’ennui dans le petit château de sa femme, situé sur leur exploitation agricole sans que personne ne comprenne sa souffrance. C’est l’homme que je regrette d’avoir perdu deux fois, par son mariage puis par sa mort il y a quinze ans.