Les chants désespérés, noirs comme des corbeaux, tapissent les tombeaux, méritent le rabot. Il est plus facile de clamer la tristesse que la joie. Le désespoir, réel ou imaginaire, se pare aisément de grandeur, tandis que louer le bonheur demande plus de talent. Mais pourquoi et pour qui écrire ?
Pour soi-même ? Dans ce cas, tout est permis, l’écrivain peut s’épancher à loisir en pages d’une noirceur absolue. Cela ne l’aide pas forcément à aller mieux contrairement au cliché qui veut que les souffrances exprimées pèsent moins lourd. Au contraire, se vautrer à longueur de journée dans le malheur ne fait que creuser l’abîme de la solitude et du chagrin. Pourquoi le poète est-il plus naturellement enclin à exprimer la douleur plutôt que la gaieté ? Sans doute parce que les textes sombres semblent plus nobles et plus pérennes.
Pour le lecteur ? Pour celui-ci, la littérature est avant tout un loisir, qui se doit d’être agréable. Il est saturé de malheur contagieux, ressassé par des écrivains qui sont souvent loin d’avoir les qualités des auteurs classiques et reconnus. Pour lui, un poème léger et gai, même modeste, est préférable à des vers au parfum de caveau.
Alors, quelle couleur d’encre choisir ? Rien n’empêche le poète d’alterner. Il peut décrire d’une part le désespoir en noir, en livrer une partie au public et garder les pages les plus lugubres pour lui (Surtout, qu’il ne se prive pas de les écrire, car l’expression emphatique de la douleur est jouissive.), d’autre part, chanter la gaieté en textes légers et ludiques, qui sauront le divertir et charmer le lecteur.
En conclusion, qu’il écrive en noir chagrin ou en jaune soleil, l’auteur doit rester humble, car tout a déjà été dit et répété avant sa naissance et le sera encore longtemps après sa mort. Alors, qu’il fasse en sorte d’y prendre un plaisir maximum.