Attablée à la terrasse chauffée d’un café, je contemple le défilé des piétons devant la vitre.
Certains volent vers leurs tâches quotidiennes, gris de responsabilités, ou vers le plaisir. Passent à vive allure un militaire sec comme une biscotte, un facteur taillé comme une allumette, une jeune femme à la silhouette de moineau anorexique, une poignée de cadres interchangeables à la mine d’attaché-case, une grappe d’enfants piailleurs, qui courent vers le bonheur.
D’autres flânent, parmi lesquels je remarque une vieille dame toute fripée, qu’un caniche en laisse entraîne vers le parc public, un saxophoniste, qui s’arrête à l’angle du trottoir le temps d’exécuter une fugue aux étoiles, une mère et son fils en plein caprice chaudement arrosé de larmes de crocodile, un échalas dragueur sur les pas d’une sylphide taquine, qui, d’un brusque volte-face, lui fait monter le rouge aux joues.
Certains demeurent sur la place, sans but apparent, à portée de sourire, trois clochards qui discourent sur le prix du litre de vin, deux chiens affairés à comparer les odeurs des réverbères du quartier, une fillette qui joue à la marelle et saute à pieds joints vers le paradis, deux gamins qui disputent une partie de ballon en shootant dans une boîte vide de haricots extrafins.
La vie suit son cours au bar des délices. Je bois un expresso en tendant l’oreille vers les conversations voisines. À ma gauche, une femme expose sa recette des cuisses de grenouille à son compagnon monté sur poteaux, à ma droite, deux étudiants discutent de mathématiques à coups d’intégrales triples, derrière moi, un roublard tente de troquer avec le serveur une martingale pour gagner au loto contre quelques verres.
Devant moi se dresse le chemin du retour. Il est 19 h, les rues se vident, les restaurants se remplissent. Je vais dîner, seule avec les mots.