30.1.10

À fleur d’inespérance

Mon cœur s’est longtemps réchauffé
Au souvenir d’un grand chêne,
Que caressait le soleil de juin.
Mais l’automne a chassé la lumière.
Les moineaux se sont tus.
L’arbre étend son squelette sombre
Au-dessus du cimetière.
L’ombre engloutit l’espace.
L’horizon se rétrécit.
Je demeure seule
À fleur d’inespérance,
Dans l’immobilité du caveau.
Mon corps pèse moins qu’une feuille morte,
Le poids de l’inexistence.
Ma mémoire se dissout
Dans les ténèbres poisseuses.
Le corbeau qui picorait sur ma tombe
S’envole vers un jardin.
L’avenir m’oublie.

Nuit de cauchemars

Nuit de cauchemars.
Spectacle infernal.
Un vampire dévore mon cerveau,
Pendant que je me débats dans la toile
Qu’une immense tarentule
Tisse dans ma conscience.
Une manticore grignote mon visage
Devant un fantôme hilare.
Des grappes de cafards s’immiscent
Dans tous les orifices de mon corps.
Ballottée entre réel et imaginaire,
Je plonge dans le tourbillon de la déraison.
Je ne perçois plus la frontière de ma chair.
Dans le creuset de la folie,
Mon sang dilue la bouillie
De l’horrible fiction et de la réalité sinistre.
Je suffoque sous le couvercle
De l’intemporel épouvantable.
Mes hurlements me percent les tympans.
Dès que mes cris s’éteignent,
L’aube déverse sur mon toit
Une pluie orageuse,
Où se noient mes visions funestes.
Le matin tiède m’appelle.

Bilan de notre passion

Dans le huit clos de la nuit
J’ai vécu par procuration
J’ai pris tes intérêts pour argent comptant

Prise en flagrant délit de naïveté
Je t’ai tout pardonné par contumace

Sur le fonds de commerce de ma lâcheté
J’ai liquidé nos dettes de bonheur

Dans la banqueroute de la franchise
J’ai séquestré ton sourire

Tu as opposé à mes griefs
Une fin de non recevoir
J’ai ajourné ma requête

J’ai attendu ta déclaration
Je t’ai mise en demeure
J’ai fait opposition à ton indifférence
Je me suis mise en faillite personnelle

J’ai soldé le bilan de notre passion
J’ai constaté l’échec de notre accord
J’ai rompu le contrat à tes dépens
J‘ai dissolu ton image

Mot joyeux

Au milieu d’un récit couché sur une page,
Un petit mot confie en pleurant à ses pairs
Sa honte d’habiter un paragraphe amer
Au lieu de distiller du bonheur dans l’ouvrage.

Saturé de tristesse au parfum de naufrage,
Il rêve de clamer dans un poème en vers
La gaieté sur un ton brillant comme un éclair,
Pour offrir au lecteur un merveilleux voyage.

Il s’enfuit d’une feuille à la froideur d’hiver,
Puis il glane la joie au sein de l’univers
Afin de composer de radieuses images.

À l’abri du chagrin, il vogue sur la mer
De l’imagination, où il cueille au passage
La passion qui nourrit la magie du langage.

29.1.10

Épouser le silence

Encombré de doutes
Surfer sur la frivolité
Jusqu’à l’épuisement

S’arrimer au mensonge
S’attarder dans les draps
De la lâcheté

Marcher sur les flammes
De la marginalité
À force de s’oublier
Perdre ses repères
S’arracher la peau
Aux griffes de l’indécence
Ne plus discerner la frontière
Entre sa chair à vif
Et l’espace indifférent
Fondre sa solitude
Dans le brouillard de la folie
S’absenter de son être
En épousant le silence

Solitude lucide

En l’absence de ma belle
Je me suis écorchée à son confort
J’ai souvent confondu silence et confiance
J’ai pris des mirages pour des projets

J’ai vécu en pointillés
Festoyant de ses miettes

Après le second rôle
Je me suis abonnée à la figuration
J’ai préféré le carton-pâte au vide

Je me suis trahie
En épousant ses priorités

J’ai bradé mon futur
Troqué mon sourire
Contre des rencontres tendues
Ornées de fleurs fripées

Ce soir
J’ai jeté la clé des mensonges
Seule dans ma gravité de pierre
À fleur d’ombre
Je n’attends plus rien

Fleurs du pardon

Un pas devant, un pas derrière,
C’est la danse des sentiments.
Le cœur oscille aveuglément
Entre ténèbres et lumière.

Il navigue sur l’océan
De la jalousie excessive,
Si bien que parfois il dérive
Jusqu’au rivage du néant.

Entre le rire et le mensonge,
Les coups de griffe et le plaisir,
Faut-il s’obstiner ou partir
Sitôt que la fièvre nous ronge ?

Sous les cendres de l’abandon
Palpite déjà l’étincelle
De la passion, qui nous appelle
À cueillir les fleurs du pardon.

Sabbat du béton

Déjà minuit passé, je compte les moutons,
Seule dans mon grand lit à la froideur hostile.
L’alcool les multiplie, j’en vois sauter deux mille.
Saturée de bourbon, j’ai la tête en carton.

Le voisin du dessus tape à coups de bâton
Sur son fils turbulent, dont les cris m’horripilent.
Rongée par le vacarme, épuisée, immobile,
Je voudrais écraser la sirène à deux tons.

Je maudis les chauffards dont les automobiles
Se défient au klaxon près de mon domicile.
J’envie la paix des rues réservées aux piétons.

Dès qu'un jeune soleil se pose sur la ville,
Je me couvre du drap des pieds jusqu’au menton,
En vouant à l’enfer le sabbat du béton.

Devant la joie

Devant le gouffre amer, effarée, je recule.
Mais l’ange de la mort vient me recommander
De jeter au néant mon avenir bondé
De monstres affublés d’avides mandibules.

Sur le pic de l’horreur, j’avance en funambule.
Puisque du désespoir je ne peux m’évader,
Je confie mon destin à la grâce d’un dé,
Pour qu’il guide mes pas de pantin minuscule.

Parvenue à l’entrée du pont des suicidés,
J’aperçois une main tendue pour me guider
Sur un chemin léger comme une libellule.

Dès qu’un soleil rieur m’invite à regarder
La nature, qu’égaient de blanches campanules,
Je voue à l’amnésie mes démons ridicules.

28.1.10

Monsieur le Président

-Monsieur le Président, les pauvres n’ont plus de pain.
- Fichtre ! Je m’en passe bien, moi. C’est bon pour leur ligne. Qu’ils consomment les légumes de leurs champs !
- Ils n’ont pas de champs.
- Quand ils en avaient, ils jetaient leurs récoltes sur les routes, j’ai dû leur confisquer. Bien fait ! Qu’ils mangent du chocolat.
- Comment voulez-vous qu’ils aient du chocolat ? Vous allez me dire que cette pénurie est bénéfique à leurs dents ?
- Bonne remarque ! Vous me rappellerez après cette entrevue, je vous trouverai un poste de chef de cabinet. Revenons à notre sujet ou à mes sujets, au choix, suis-je drôle ! C’est qu’ils sont toujours fourrés chez le médecin, le dentiste ou le kinésithérapeute, ces roublards. Après, cela creuse le déficit de la Sécurité Sociale et qui est-ce qui trinque ? C’est bibi ! Mais non, en l’occurrence, j’ai une meilleure solution. Qu’on leur donne les confiseries des colis de Noël des vieux qui sont morts de la grippe A cet hiver.
- Mais Monsieur le Président, ce virus a fait très peu de victimes !
- Attendez les effets secondaires de la vaccination, vous m’en reparlerez ! Mais c’est une autre histoire. Alors, qu’ils fassent comme les riches, qu’ils achètent des denrées alimentaires. Les magasins sont ouverts à tous.
- Ils n’ont pas d’argent.
- Qu’ils travaillent !
- Ils aimeraient bien.
- Diantre ! Je vous parie le disque de ma femme que non.
- C’est gentil, Monsieur le Président, mais vous me l’avez déjà offert, avec une dédicace de votre épouse, en plus.
- Ah bon, mince ! Alors, il faut qu’on soustraie celui que vous possédez des dix-sept exemplaires comptés vendus, elle sera déçue.
- Et pour les pauvres, que fait-on ? Voulez-vous qu’on leur trouve du travail ?
- Quelle drôle d’idée ! Quand ils travaillent, ils se plaignent du recul de l’âge de la retraite, de leur salaire horaire, et de faire plus de trente-cinq heures par semaine. Non, leur donner un emploi serait la pire des choses. Mais dites-moi, vos pauvres-là, ils sont bien de chez nous ? Commencez par expulser ceux que vous pouvez renvoyer chez eux ou ailleurs, c’est bien facile, on a plusieurs charters qui rouillent d’ennui. Ensuite, revenez me voir, on fera le point pour ceux dont vous n’aurez vraiment pas pu vous débarrasser.
- Bien, Monsieur le Président.
- En sortant, prenez un vaccin pour votre père et un disque pour votre fille. Si, si, j’insiste ! Cela me fait plaisir !


Note : Toute ressemblance avec un personnage existant serait le fruit d’une observation minutieuse de l’auteur, qui vous remercie par avance de cet éventuel compliment.

Cirque terrestre

Le cirque roule
Vers la cité poubelle.
Le rire lessive.

Le chimpanzé lave
Le réverbère
Dans le seau à champagne.

Le clown triste
Joue aux dames
Avec la belle-de-nuit.

Le trapéziste lance
Le cheval au galop
Dans le funérarium.

Le magicien
Règle la circulation
De sa baguette agile.

Deux acrobates
Font une partie de cache-cache
Dans la salle d’opération.

L’avenir savoure
La boule glacée
Du spectacle terrestre.

Avenir serein

Las de son existence, où le temps se dévide
En jours de solitude habillée de noirceur,
L’adolescent choisit d’immerger sa douleur
Dans un fiel d’évasion, prophète du suicide.

Aux portes du néant, une reine splendide
Instille dans son sang un philtre de bonheur,
Dont la force de vie lui réchauffe le cœur,
De sorte qu’il échappe au guet-apens du vide.

Le garçon, survivant de sa sinistre erreur,
S’éveille à l’avenir, délivré de ses peurs,
Prêt à tracer sa route avec l’espoir pour guide.

Désormais à l’abri des anges de la mort,
Qui vendent des potions au parfum d’homicide,
Il découvre le monde, où la beauté préside.

27.1.10

Pays de la fraternité

Au ciel de contrastes,
Volutes évasives,
Éclats d’ambivalence,
À perte d’avenir.
Conscience rougeoyante,
Au bord de l’horizon.

Sur la Terre,
L’homme navigue
Au vent de ses passions,
Entre le jardin des délices
Et le palais du sang.
Dualité enivrante,
Entonnoir de la folie.

Au port de la raison,
Le phare rayonne
Son appel à vivre.
Il suffit que la vigie l’aperçoive
Pour que le voyage s’achève
Au pays de la fraternité.

Recette de poème gai

Île fo noix yé le chat grain dent une bassine verte.
A près tu mais aveque hein nez cla dés toiles,
Ou deux si tas du fric plaint les poches.
Puits tu plomb je tape lum dent un bol deux sous rire.
Si tant nappe lu, tup rang un bol deux laid,
Mets sa marche moins bien. Fesse long ta fente et zi.
Tu peu mais majout thé du rhum, Byzance !
Lun port tant cé que tu ta muse. Bon, ta un cœur neuf
Et des maux gué. Tu peux et cri rein pot aime aveque sa.
Tu nez pas fort sait, tu peu oh si hâlé alla pet chaud moule.
Sur touque laid mou le sait bon. Avec du vain blenfrè et dés frites,
Sait hein pur d’hélice. Mets si tapa paire du le fil,
Chat peau bah mont frais re ! Pren une feuille deux pas pied,
Sait moins fa si la veq une feuille darbre mets sam arche
Quand m’aime, eh là tue laisse couler laid maux deux toits.
Si tas bien suie vie, tau rat hein pot aime gai. Cil reste démo triste,
Taka laid je thé dent là bassine du début. À toit deux fer !

Jouez à la marelle

jouez à la marelle votre va-tout
faites un trou la vaisselle de la semaine
éteignez le gaz votre portable
passez à la télé à la caisse
levez-vous de bonne heure
replantez les trèfles à quatre feuilles la poupée
égouttez les pâtes goûtez la vie
prenez la porte qui est ouverte
lavez bien vos pieds debout
appelez la lune n’appelez pas les pompiers
regardez le chien écrasé c’est triste
mangez des cacahuètes des roses mortes
caressez le jardin la nature est belle
jetez l’argent par les fenêtres
faites attention à la pollution
préférez le vélo au cancer
enlevez le gras du porc n’enlevez pas vos gants
grimpez sur l’escargot
confiez votre détresse à un psy du sud
arrosez les tulipes elles aiment l’eau
parlez aux voisins à la poubelle
descendez sur saturne la terre
comptez les moutons en nageant sur le dos

Chêne séculaire

Au creux de la vallée, le chêne centenaire
Écoute sous le vent son branchage gémir,
En songeant que sa vie va bientôt se finir
Dans l’horreur d’une scie à lame circulaire.

Quand s’éteint la chanson d’un pinson solitaire,
Il tremble sur son pied en entendant rugir
L’outil du bûcheron qui vient l’anéantir
Sous l’œil indifférent d’un géant conifère.

Avant que son esprit ne commence à mourir,
Il cherche à deviner le sort que l’avenir
Réserve à la splendeur de son tronc séculaire.

La vision d’un cercueil l’emplit de déplaisir.
Il craint d’être changé en planches ordinaires,
Unies pour enfermer un cadavre sous terre.

26.1.10

Couleur d’encre

Les chants désespérés, noirs comme des corbeaux, tapissent les tombeaux, méritent le rabot. Il est plus facile de clamer la tristesse que la joie. Le désespoir, réel ou imaginaire, se pare aisément de grandeur, tandis que louer le bonheur demande plus de talent. Mais pourquoi et pour qui écrire ?
Pour soi-même ? Dans ce cas, tout est permis, l’écrivain peut s’épancher à loisir en pages d’une noirceur absolue. Cela ne l’aide pas forcément à aller mieux contrairement au cliché qui veut que les souffrances exprimées pèsent moins lourd. Au contraire, se vautrer à longueur de journée dans le malheur ne fait que creuser l’abîme de la solitude et du chagrin. Pourquoi le poète est-il plus naturellement enclin à exprimer la douleur plutôt que la gaieté ? Sans doute parce que les textes sombres semblent plus nobles et plus pérennes.
Pour le lecteur ? Pour celui-ci, la littérature est avant tout un loisir, qui se doit d’être agréable. Il est saturé de malheur contagieux, ressassé par des écrivains qui sont souvent loin d’avoir les qualités des auteurs classiques et reconnus. Pour lui, un poème léger et gai, même modeste, est préférable à des vers au parfum de caveau.
Alors, quelle couleur d’encre choisir ? Rien n’empêche le poète d’alterner. Il peut décrire d’une part le désespoir en noir, en livrer une partie au public et garder les pages les plus lugubres pour lui (Surtout, qu’il ne se prive pas de les écrire, car l’expression emphatique de la douleur est jouissive.), d’autre part, chanter la gaieté en textes légers et ludiques, qui sauront le divertir et charmer le lecteur.
En conclusion, qu’il écrive en noir chagrin ou en jaune soleil, l’auteur doit rester humble, car tout a déjà été dit et répété avant sa naissance et le sera encore longtemps après sa mort. Alors, qu’il fasse en sorte d’y prendre un plaisir maximum.

Ciel d’indécision

Au ciel d’indécision,
Volutes irisées.
Immobilité feinte.
La vie tapie palpite.
L’avenir observe l’univers.

Sur la Terre,
L’homme s’agite
Dans un espace à deux dimensions.
Il n’accède à la troisième
Que dans la profondeur du caveau.

Pourtant, il suffirait d’un regard
Vers l’espace ondoyant
Pour appréhender
Le champ des possibles.

Alors, demain attend
Que l’humain s’éveille.
L’œil du futur rougeoie,
Tel le phare de la conscience,
À portée de cœur.

Fragments de vie

taillez le garçon l’allumette le caniche nain tirez sur la pelouse les glaïeuls
allumez votre moustache coupez le saxophone donnez encore votre grand-père
mélangez le livre l’ours brun le vélo de course suivez la peur au ventre
qui sait composez la casquette prenez soin de la valise briquez le journal

brossez l’arc-en-ciel passez sur le frein réglez le trottoir les dragons
évitez votre cœur les roses tondez les haricots à la crème la radio
appuyez le garage la prison ouvrez les chiens la poudre d’escampette
caressez les choux surveillez les piles lisez bien le cendrier la grippe

changez le sucre brûlez la parole timbrez la voisine le sonnet le lait
appelez le caleçon dès ce soir mettez l’hiver à l’aventure tout seul
raccommodez les œufs le butin videz l’éclat de rire courez les orties
étouffez la gerbe de fleurs du soleil dans votre vie éteignez l’ordonnance

Destin de réfugié

Ses parents disparus, la peur en bandoulière,
Il quitte son pays souillé de corps sanglants,
Sur un bateau suspect, qui porte sur ses flancs
De la rouille, où s’inscrit une étrange bannière.

La carcasse rompue, l’horreur sous les paupières,
Tassé parmi ses pairs sur le pont pestilent,
Leurs plaintes mélangées aux cris des goélands,
Il traverse la mer, puis franchit la frontière.

Avec sa modestie comme unique talent,
Il prie pour que le sort hisse le drapeau blanc,
Afin que ses malheurs demeurent en arrière.

Le réfugié, lassé de ses échecs cinglants
Dans une métropole à la froideur de pierre,
Trouve du réconfort au fond d’un cimetière.

25.1.10

Sève du langage

La sève du langage
Grignote les barreaux du silence.
Les mots s’infiltrent
Dans la solitude du cœur.
Le verbe gomme la peur.
La musique des phrases
Suture la blessure de l’absence.
La fleur d’espoir surgit
Dans le désert de la mémoire.
Sous le vent de la poésie,
Le vaisseau des vocables
Conduit l’être
Vers l’autre.
L’avenir s’inverse.
Au lever du jour,
La vie chante à travers les volets,
Lave le dernier cauchemar.
Demain appelle dehors.

Arracher les racines du mal

La pire solitude réside
Dans l’impuissance à montrer
L’étendue de sa souffrance.
Derrière le mur du silence,
La folie grignote.

Un matin,
Contempler son désespoir.
Graver les mots de douleur
Jusqu’à ce qu’ils saignent.
Noircir l’indifférence des pages
De phrases à ne pas lire,
Lourdes d’horreur indicible.
Brûler les feuilles d’angoisse.

Alors,
Les racines du mal arrachées,
Effleurer l’empreinte du possible.
Suivre la ligne de l’avenir.
Apprendre la langue du vivant.

L’œil du futur

Figé dans l’infini,
L’œil du futur contemple
La planète trouble.

Il observe
Le défilé des hommes minuscules,
Pantins colorés de sang,
Les gesticulations guerrières
Sur l’autel de l’ostracisme,
L’horreur des charniers
Muets de pourriture,
Les paysages assassinés
À perte de raison.

Il constate
L’omnipotence du mal.

Il s’étonne :
Sur cette Terre,
Les bourgeons du bonheur
Brillent pourtant,
Prêts à éclore.

Naître enfin

Vivre ?
Dès la naissance, inhabité,
Traîner le cadavre de son être.
Corps qui tourne à vide,
Enveloppe de néant
Sans chair à protéger.
Dans le silence ouvert,
Épeler ses membres,
Mesurer son sang,
À perte d’absence.
Tout ce temps à en-durer,
Ces jours qui n’en peuvent plus
De s’effilocher dans l’ombre.
Horreur glacée
De cette non-existence sursitaire.
Trouver le repos du caveau muet,
Habillé de nuit.
Sous le poids de la terre,
Dans le mouvement de la décomposition,
Naître enfin.

Pensées d’un chêne

Au sein de la forêt, où deux pinsons égrènent
Leur chanson matinale aux accents mélodieux,
Pendant qu’un chat matois les dévore des yeux,
Un sapin élevé devise avec un chêne.

Le conifère affiche une gaieté sereine,
Tandis que son voisin, le doyen de ces lieux,
Impuissant face au vent qui souffle en son milieu,
Pleure en voyant tomber ses feuilles par centaines.

Le vieil arbre se plaint de ce climat odieux.
Le ramage tremblant, il accable les cieux,
Dont la pluie le pourrit ainsi que la gangrène.

Il attend le printemps, dont le soleil soyeux
Viendra darder sur lui ses feux pour qu’il reprenne
Sa célèbre vigueur de maître du domaine.

24.1.10

Noces de glace

Au milieu de la foule,
Je me rétracte, je me replie
Dans la solitude de mon cerveau.
Je me tapis dans ma prison intérieure,
Sourde et aveugle aux joies du monde.
Je m’isole dans mes rêves ombreux.
Parfois, dans mon désert mental,
Une lueur surgit,
Un mot s’élève,
Un lambeau de souvenir palpite,
Appels du dehors,
Auxquels je m’écorche.
Ma peur de l’autre suppure.
Je me ferme à la lumière de l’inconnu.
Je me réfugie dans le silence encroûté.
Je souffle sur la flamme de la vie,
Pour épouser,
Dans mon palais de glace,
L’obscurité figée.

Union rouge

Sur la planète rouge,
Le cardinal en camail éponyme
Unit le Père Noël
Et le Petit Chaperon Rouge,
Dont la grand-mère, émue,
Lâche son panier de cerises.
Le dragon rubicond,
Prenant cet amas rutilant
Pour une rivière de rubis,
Qu’il brûle d’attacher à son cou,
Se précipite jusqu’à l’autel.
Il ouvre une gueule incandescente,
Si bien que nappe et fleurs rôtissent.
Tandis que les futurs époux rouspètent
Auprès de l’ecclésiastique courroucé,
Le témoin du marié et son ami,
Deux routards roublards,
Déversent leur chargement coloré
De pastèques et de grenades
Devant la porte de la cathédrale.
La foule enthousiaste
Lance ces boulets improvisés
Sur le dragon tout feu tout flamme,
Qui, confondant le fruit du grenadier
Avec le projectile explosif,
S’enfuit, épouvanté.
La cérémonie achevée,
L’assistance se régale
De vin grenat rocailleux.

Passions éphémères

Je surfe sur la vie ainsi qu’un courant d’air.
Mon esprit assoiffé de nouveauté m’entraîne
À plonger de tout cœur vers ma lubie prochaine
En vouant au bûcher ce que j’aimais hier.

Mes élans de l’été ne passent pas l’hiver.
Ma passion du lundi meurt en fin de semaine.
Je voudrais m’envoler vers des contrées lointaines,
Voyager sans répit au sein de l’univers.

Un démon facétieux distille dans mes veines
Un philtre d’impatience, afin que rien ne freine
Mes pas vers l’inconnu brillant comme un éclair.

Parfois, quand je m’allonge à l’ombre d’un grand chêne,
Qui demeure impassible autant qu’un pieu de fer,
Je rêve d’étouffer la flamme qui me perd.

23.1.10

Rouge contraste

La pomme d’amour brille à la fête foraine.
L’enfant déguste le caramel, laisse la pomme.
Adulte, il mangera le fruit jusqu’au trognon.

Le poisson rouge tourne sa vie de condamné
Dans son bocal minuscule, puis meurt,
Aussitôt remplacé par un sosie.

Le feu rouge, les panneaux de sens interdit, de stop,
La zone rouge de la jauge de carburant,
Rougissent leurs incessantes mises en garde.

Le cardinal en robe rouge, homme de poids,
Et le cardinal rouge, passereau chanteur,
Se disputent le label rouge.

L’amour, la mort, la religion, le diable,
La joie de vivre, la colère, s’habillent de rouge,
Mêlent les contraires dans un monde incandescent.

Chemins de la raison

L’humain naît dépourvu d’intention,
Incapable de distinguer le bien du mal,
Ardoise vierge sous le crayon du possible,
Pâte à modeler dans la main du hasard,
Cerveau ouvert aux théories en vogue.

L’enfant avale sa bouillie sans choisir.
Ensuite ?
Le plus souvent, il adhère ou se rebelle,
Il avance sur l’autoroute des clichés,
Dans un sens ou dans l’autre.

Pourtant, sur les côtés,
Des chemins de terre
Mènent vers des terres sauvages.
Dans cet avenir en friche,
L’homme bâtit son existence
Avec pour matériaux
Sa raison, la liberté et la poésie.

Éclats d’ombre

Émousser le je sur la râpe de l’humilité.
Prendre la distance du jeu.

Dieu n’existe pas avec ou sans majuscule.
L’homme laissé à lui-même s’autolimite.
Il ne sait percevoir la liberté
Que comme un trésor inaccessible,
Au-delà de la prison qu’il fabrique.

Troquer le macadam aux vies avides
Contre les spams à l’absurdité rassurante.
Pactiser avec la froideur de la solitude.
Penser à ses défunts,
Le cœur déchiré non par la perte des temps heureux,
Mais par le regret irrévocable des joies qui n’ont pas existé.
Apprivoiser la peur.
Marcher sur le fil du néant.
Jouer mentalement la scène ultime.
Contempler son agonie.
Faire volte-face à la dernière seconde.
Basculer vers demain.
Un jour de plus arraché à la mort !

Création cosmique

Dans l’infini profond, au centre de l’espace,
Le Maître Tout-Puissant règne sur l’univers.
Au gré de ses envies, il assèche une mer,
Fabrique une planète, ajoute un pic de glace.

Il édifie des lois, élabore des classes,
Compose les métaux, le platine, le fer,
Conçoit Dieu, le démon, le paradis, l’enfer,
Pléthore d’entités, qu’il pose et qu’il déplace.

Il forme les saisons, du printemps à l’hiver,
Invente les saveurs, salé, acide, amer,
Donne vie aux humains, aux chevaux, aux limaces.

Il forge les couleurs, le blanc, le bleu, le vert,
Constitue le soleil, les marées haute et basse,
Puis, lassé de son œuvre, en soufflant, il l’efface.

22.1.10

Rouge douceur

Rouge colère
Boue ire bouillir
Rage aux joues
Outrage ronge
Orage bouge
Boude boule
Bougon bougre
Gribouille rit
Brouille finie
Bouteille barrique
Trinquons bourrique
Bourgeon joie
Boute-en-train
Coûte rien bouffon
Pouffe coulé
Poule œuf coq
Coque cot cot cot
Coquelicot
Rouge douceur

Fleur de folie

Éclosion
Dans les artères grouillantes
Sucer la sève de vie
Goûter le miel du désir
Basculer dans l’ivresse

Audace
Délice trouble
Fleur de folie
Goutte de feu
Lèche la plaie

Dispersion
Fourré de fiel
Appel du mal
Caresse griffue
Blessure exquise
Lape la volupté
Veine ouverte sur la mort
Souffle éteint

Accalmie
Lever l’illusion
Blanchir le rêve
Rassembler l’être
Prendre demain pour refuge

Univers facétieux

Dieu ?
Qu’as-tu fait de notre confiance ?
Seigneur, ta seule excuse réside en ton inexistence.
Dieu des hommes, fleur de poussière,
L’univers rit de toi, attifé de tes fanfreluches.
Vive la religion de l’ours en peluche !
Le pain béni étouffe le chrétien.
L’hostie lui tient la dragée haute.
(*) Trinité ? Précipité de trinitrate de naïveté,
Aussi explosif et toxique que la nitroglycérine,
Mais plus volatil. Normal,
C’est haut, le paradis et l’ascenseur est en panne.
En panne d’essence mystique, alors il faut marcher.
Marcher, courir même, vers la crédulité.
Retour au vers 9, voir étoile là-haut (*).
Byzance ! L’excès de vin de messe fait voir triple.
Trois fois zéro attrape les gogos.
Fin du théâtre de Guignol, rideau sur Dieu.

L’homme ?
Bouillie d’atomes, cloaque de quarks.
Homme, amalgame imaginaire.
Chair humaine, délice du néant fossoyeur.
Minuscule être de passage
Englouti par les ogres du temps.

Après ?
Changement de décor.
Danse de particules élémentaires.
L’univers facétieux
Refondra les règles,
Recollera nos molécules
En un désordre différent.
Homme hors jeu !

Danse la langue

Pre nez zin mot puis deux puis trois,
C’est tout. Après, île faux beau sait avec,
Laid tordre, lait mais langer.
Si tu mets langes, c’est qu’y zont fait des petits !
Byzance ! T’as gagné des maux gras tui.
Tuitui ! Et mon tu toi mens en pluche.
Bon, entou tan a cinq, démo, faux suie vre !
De gran, troi pets ti, mets thon :
Aiguille, flan, voiture, baobab, ébauche.
Joli non ? Avec satu fée un pot aime.
Avec la fée, mets hein lutin,
Âge ou thune que de ras,
Hein ? Mords sot de fois gras,
Un ver de pisse d’âne, puits
Dés mer de toi ! cé toi le pouet !
Tas cinq mo, a sait pour un chai d’œuvre.
À toi deux joue hé ! Danse la langue !

Vieillard lugubre

Cloué dans la fadeur de son lit d’hôpital,
Le vieillard, éveillé depuis l’aurore grise,
Peste contre un voisin qui clame des sottises,
Dont le flot continu lui vrille le moral.

Parfois, quand l’infirmière au rire de cristal
Lui prélève du sang en vue d’une analyse,
Il sent poindre en son être une impulsion exquise,
Rebelle à la raideur de l’aiguille en métal.

Alors, fiévreux, les yeux brillants de convoitise,
Il condamne son corps froid comme une banquise,
Changé par les années en terne minéral.

Mais, dans la nuit glacée, sa tristesse s’aiguise,
De sorte qu’il prie Dieu de mettre un point final
À son destin, que borne un ennui magistral.

Maudite religion

Maudite religion, je quitte ton église.
Je donne à la fureur du feu tes sacrements,
Pour veiller sur mes morts loin de tes boniments,
Seule avec le chagrin de mon âme insoumise.

Je jette à l’amnésie la messe aux heures grises,
L’amour du Créateur, ses divins châtiments,
Le pain de vie, qu’enfant, j’avalais goulûment,
Avant de confesser pécher par gourmandise.

Je laisse le curé à son Dieu déprimant,
Pressé de m’étouffer sous ses commandements
Tapis dans des sermons encombrés de sottises.

Délivrée de la foi, je marche dignement
Sur la voie du futur avec, dans ma valise,
Les bourgeons de l’espoir, que je sème à ma guise.

21.1.10

Nuit dévorante

Nuit dévorante
Invasive
Elle engloutit
Elle suinte
Tapissée de silence

Deviser avec des souvenirs
Évite les conflits avec les vivants

Obscurité pavée d’horreurs inventées
Cauchemars et rêves éveillés
Basculement à portée de souffle
Espace des visions du poète
Où commence la réalité ?

Rideau sur le soleil
Demeurer à jamais dans la nuit
Ne plus apparaître au jour périlleux
Vivre dans l’ombre d’un reflet
Léger comme un quark

Existence souterraine
Ténèbres voluptueuses
Invisible à l’avenir

Cheminer vers l’humain

Nuit d’absence
Souffrance du néant
Esprit dépourvu de souvenirs
Aucun sourire pour accrocher l’angoisse
Ivresse du vide
Avenir à inventer
En sève de vocables

Mots de sang
Cortège d’émotions contraires
Au gré des visions
Un rêve chasse la veille
Le suivant invite demain
Vertige du cœur
Pendule entre chagrin et pleurs

Laisser passer le vent
Se poser au milieu
Pactiser avec le calme
Plonger dans l’apaisement du sommeil

S’éveiller dans la joie
D’une voix inconnue
Qui traverse le volet du doute
Prendre la voie de la confiance
Cheminer vers l’humain

Sot né

Seau n’est sot né, vœux nez joue et ici baume oh !
Dents cépages bu vais le nectar plus ultra.
Trash ! Trace sang dé laid, tort les maux. Prison bas !
À bas tri pets boit yo ! Riz pique le carreau.

Maudits soie lag grand-mère et toussé zori peau.
Jouons encens ble de la patrie, pourquoi pas ?
Tri pas touillons les mots pour ferre le rata.
Le rat, t’as ka luit mettre un cou deux tons coup tôt.

Pot êtes, tes parties ? Non ? Ta ka prend drain siège.
Noue loup rond le soleil, nous ment jeu rond l’année je.
Tu ver rat ! Tout sais rats fond légion, quel panard !

Situe ses souris rot rats, il quitte rond lac âge
Pour gris gnotter la peur, mettre des bouts deux lard
Entre tes épine art. Pinard, kel d’où breuvage !


Version alternative : Au vers 14, remplacer « Pinard » par « Pine art ».

Foi condamnée

Dans mes jeunes années, j’ai loué le Seigneur,
Imploré à genoux qu’il m’octroie sa clémence,
Prié pour que sa grâce allège mes souffrances,
Récité le Pater pour clamer sa splendeur.

Puis la main du destin a broyé ma candeur
En conduisant mes pas dès mon l’adolescence
Sur un chemin étroit, barbelé de silence,
Hanté par la légion des anges de la peur.

Le temps a calciné les joies de mon enfance,
Les valets de la mort vêtus d’indifférence
Ont emporté le corps de ma dame de cœur.

J’ai voué au bûcher mes naïves croyances,
Offert Dieu et son Fils au néant fossoyeur,
Pour marcher vers demain seule avec ma douleur.

20.1.10

Le cahier de Germaine

Je m’appelle Germaine, je suis une vieille dame de cent deux ans. Je demeure à la résidence « Chemin blanc », une maison de retraite médicalisée. Drôle de nom, me direz-vous ! En effet, mon chemin se limite au trajet entre la chambre et le réfectoire… les bons jours. En parlant de réfectoire, les repas sont loin d’être une fête. À dire vrai, leur qualité varie entre médiocre et infect. Sinon, mon circuit se rétrécit encore et je trottine entre le lit et les toilettes.
Je m’économise, je vis en petit : je dors, je déroule mes souvenirs, je discute un peu avec les autres pensionnaires. Je n’ai plus de famille, j’ai enterré mon mari et mes deux enfants et je n’ai pas d’autre descendance. Ma fille ne s’est jamais mariée. Je dois bien reconnaître qu’elle n’était pas gâtée par la nature, la pauvre ! Diantre ! Quel visage ingrat dès l’enfance ! Hélas ! cela n’a fait qu’empirer. Elle est décédée d’une crise cardiaque à soixante ans en 1990. À la veillée mortuaire, certains visiteurs détournaient le regard à cause de sa laideur, bien que le repos éternel ait plutôt adouci son visage. Finalement, elle est mieux là-bas, quoique je doute fort qu’il y ait un ailleurs autre que la pourriture du temps.
En parlant de temps pourri, nous sommes gâtés dans les Vosges. Entre la pluie, le vent, les orages et la neige, cela donne juste envie de rester au chaud dans la chambre. Enfin, quand je dis au chaud… ils sont radins sur le chauffage ici, je suis obligée d’enfiler plusieurs gilets l’un sur l’autre pour ne pas geler, même au lit. Remarquez, sans vouloir critiquer le personnel, il vaut mieux rester vêtu, parce que les draps ne sont pas changés très souvent.
Je vous parlais de mes enfants. Mon fils était curé. Il est mort dans un accident de voiture à trente-cinq ans en 1967. Dieu était sans doute pressé de l’accueillir au paradis.
Mes occupations sont limitées désormais. Je ne m’intéresse pas aux nouvelles technologies. En matière de modernité, je me suis arrêtée à la télévision. Les ordinateurs, les téléphones portables, très peu pour moi ! Ma plus grande distraction, c’est mon cahier de croix. Cela vous intrigue, je le sens bien. À chaque décès d’un pensionnaire, je fais une croix supplémentaire et je marque le nom du défunt à côté. Depuis que je suis entrée ici, il y a vingt ans, j’en suis à quarante-deux. C’est mon jardin secret. Quand je mourrai, j’aimerais qu’on enterre mon cahier près de moi, après y avoir tracé l’ultime croix avec mon nom.

Virgule

À peine courbée,
Respiration subtile,
Souffle d’élégance.

Je caracole sur la phrase
Pour changer sa signification.

En solitaire,
Évidente,
Je ponctue l’essentiel.

Avec une consœur,
J’isole un mot
Pour forcer l’attention.

Entourée de compagnes,
Je rythme le discours.

Je surfe sur le sens.
Je bouscule le style.
Je bascule entre les termes,
Minuscule,
Vie régule,
Virgule.

Pensées d’un mot

Boucles, traits
Lettres enlacées
Syllabes enchaînées

La froideur du dictionnaire
Glace mes sens

Je conspire
Avec mes frères et cousins,
Homonymes, paronymes, polysèmes
Avec mes concurrents, synonymes

Je joue sur le fil de la vie
Je m’encanaille dans la rue
Je me déforme
Je me suffixe, je me préfixe
Je me contextualise
Je m’expatrie

Commun, je me galvaude
Rare, je me galvanise
Étymologie
Intime au logis du poète
Jeu, Je, mot
Gemme au milieu de ses pages
J’aime !

Pensées d’un verre

Je reçois en mon cœur un nectar délicieux,
Empressé d’exhaler son parfum pour vous plaire,
Une liqueur épaisse à la saveur amère,
Un alcool si puissant qu’il fait luire vos yeux.

J’accueille dans mon être un soupçon de vin vieux,
Habile à distiller les saveurs de la terre,
Une bière fruitée, vêtue de mousse claire,
Un premier cru superbe au fumet giboyeux.

Quand vous me reposez au milieu de mes frères,
Je garde sur mon corps une empreinte légère,
Qu’efface le torchon d’un mouvement odieux.

Je brille fièrement parmi les autres verres,
Dans l’espoir d’attirer un convive joyeux,
Impatient de m’emplir d’un élixir soyeux.

Fêtes démoniaques

La ville étend ses rues bardées de bâtiments
Aux parois graffitées par des mains anonymes,
Dressés tels des poignards affûtés pour un crime
Fomenté par un monstre habillé de ciment.

Des vampires surgis du cœur des monuments
Jouent dans l’obscurité un ballet-pantomime,
Avant de savourer le sang de leurs victimes,
Qui déchirent la nuit d’effrayants hurlements.

Pendant que les démons de la cité s’animent
Dans les égouts, palais de leurs fêtes intimes,
Les étoiles d’argent dansent au firmament.

Quand le soleil paraît, d’un élan unanime,
Les anges de la mort regagnent vivement
Leurs abris souterrains tapissés d’ossements.

19.1.10

Histoire blanche

Bonjour, je me prénomme Blanche. D’ailleurs, tout est blanc chez nous. Il faut dire que je suis le fruit d’un mariage blanc à l’origine, mais mes parents se sont heureusement ravisés lors d’un voyage dans le massif du Mont-Blanc. J’habite une maison toute blanche à Villeblanche. Tant mieux ! les autres couleurs me font mal aux yeux.
Plus tard, je serai infirmière. Je porterai une blouse blanche, je travaillerai dans un hôpital aux murs blancs, je soignerai des malades au teint blanchâtre, allongés dans des draps blancs. Le noir est la teinte de la mort.
Je me nourris exclusivement d’aliments blancs. Le matin, je prends du pain blanc avec un bol de thé blanc et du jambon blanc. Au déjeuner, je déguste des blancs d’œuf, du boudin blanc, des haricots blancs et du fromage blanc, le tout arrosé de vin blanc. Le dimanche à midi, après un Martini blanc en apéritif, je savoure un tartare de thon blanc en entrée, une blanquette accompagnée de riz blanc en plat principal, puis un blanc-manger en dessert. Le soir, je dîne légèrement, du blanc de poulet, des carottes à la sauce blanche et deux carrés de chocolat blanc.
Une coupe de blanc de blanc égaie mes nuits blanches. Ma mère me donne carte blanche pour sortir. Elle ne se fait pas de cheveux blancs. Elle sait que je ne touche pas à la blanche et qu’en voiture, je ne franchis jamais la ligne blanche.
Toutes les deux, on se parle franchement, en se regardant dans le blanc des yeux. Hier, quand je lui ai fait remarquer qu’elle était blanche comme un linge, elle ma avoué qu’elle avait mangé son pain blanc depuis longtemps. Mon père est un escroc, il a saigné ma mère à blanc avant de s’acoquiner avec un blanc-bec pour une affaire de blanchiment d’argent.
C’est pourquoi elle broie du noir et je me fais un sang d’encre.

Je vais passer à la télé

Je vais passer à la télé.
Allumez le poste à huit heures
Pour m’accueillir dans vos demeures.
Ce soir, je viendrai vous parler.

Je dois d’abord commettre un crime,
Assassiner un innocent.
Lorsque j’aurai versé son sang,
Je connaîtrai la joie des cimes.

Hélas ! je déteste les cris,
Ils déchirent mon cœur sensible.
Je tremble qu’en ratant ma cible,
Je ne gagne que du mépris.

Au moyen de quel artifice
Pourrai-je enfin sortir du rang ?
Afin d’envahir les écrans,
Je me vautrerai dans le vice.

Pour corser mon expédition,
J’emmène au studio une fille.
Aussitôt qu’on se déshabille,
Le caméraman crie « Action ! ».

Trêve voluptueuse

Agacé par deux jours d’un combat virulent
Contre son amazone aux yeux durs comme un glaive,
L’amoureux se défoule en courant sur la grève,
Puis, fourbu, il s’endort, seul sur le sable blanc.

Les heures de la nuit sonnent des coups violents
Dans l’esprit attristé de la femme, où s’élève
Le poignard du soupçon si cruel qu’il achève
De tailler son amour en souvenirs cinglants.

Elle sombre au matin dans un sommeil sans rêves,
Tandis que son amant déclame une ode brève,
Serment de volupté qu’il offre aux goélands.

Sitôt que les oiseaux plaident pour une trêve,
L’homme éveille sa belle avec un tendre élan,
Qui les mène au berceau de frissons insolents.

Accord sensuel

Au terme de trois jours d’un conflit virulent
Avec sa belle amie plus rigide qu’un glaive,
Adam, qui donnerait un œil pour une trêve,
Campe dans le jardin avec un drapeau blanc.

Seul dans sa tente froide, il dresse le bilan
De cinq ans d’un amour commencé comme un rêve,
Avant de se friper tel un ballon qu’on crève,
Grignoté par le feu de reproches cinglants.

Mais sitôt que paraît, vêtue de tendresse, Ève,
Le chagrin de l’amant se dissout dans la sève
Que distille en son corps un désir insolent.

Sur un lit de baisers, leur désaccord s’achève,
Tandis que leur passion prend un nouvel élan
Vers un futur fleuri d’ébats étincelants.

Plaisir originel

Un jour d’égarement, le Tout-Puissant crée l’homme,
Puis, dès qu’il s’aperçoit de sa profonde erreur,
Pour s’en débarrasser, il le projette ailleurs,
Avec la punition de ramasser des pommes.

Le bipède, furieux que son Père le somme
De récolter des fruits dépourvus de senteur,
Au lieu de l’inciter à cultiver des fleurs,
Implore le secours d’un expert agronome.

Le savant le conduit au jardin des douceurs,
Où demeure une femme habillée de splendeur,
Qui l’invite à goûter les trésors qu’elle nomme.

À ces mots, l’ingénu sent poindre sa vigueur,
Présage d’un plaisir qu’avec elle il consomme,
Loin des foudres de Dieu, dont les ordres l’assomment.

18.1.10

À la terrasse d’un café

Attablée à la terrasse chauffée d’un café, je contemple le défilé des piétons devant la vitre.
Certains volent vers leurs tâches quotidiennes, gris de responsabilités, ou vers le plaisir. Passent à vive allure un militaire sec comme une biscotte, un facteur taillé comme une allumette, une jeune femme à la silhouette de moineau anorexique, une poignée de cadres interchangeables à la mine d’attaché-case, une grappe d’enfants piailleurs, qui courent vers le bonheur.
D’autres flânent, parmi lesquels je remarque une vieille dame toute fripée, qu’un caniche en laisse entraîne vers le parc public, un saxophoniste, qui s’arrête à l’angle du trottoir le temps d’exécuter une fugue aux étoiles, une mère et son fils en plein caprice chaudement arrosé de larmes de crocodile, un échalas dragueur sur les pas d’une sylphide taquine, qui, d’un brusque volte-face, lui fait monter le rouge aux joues.
Certains demeurent sur la place, sans but apparent, à portée de sourire, trois clochards qui discourent sur le prix du litre de vin, deux chiens affairés à comparer les odeurs des réverbères du quartier, une fillette qui joue à la marelle et saute à pieds joints vers le paradis, deux gamins qui disputent une partie de ballon en shootant dans une boîte vide de haricots extrafins.
La vie suit son cours au bar des délices. Je bois un expresso en tendant l’oreille vers les conversations voisines. À ma gauche, une femme expose sa recette des cuisses de grenouille à son compagnon monté sur poteaux, à ma droite, deux étudiants discutent de mathématiques à coups d’intégrales triples, derrière moi, un roublard tente de troquer avec le serveur une martingale pour gagner au loto contre quelques verres.
Devant moi se dresse le chemin du retour. Il est 19 h, les rues se vident, les restaurants se remplissent. Je vais dîner, seule avec les mots.

Jour heureux

Un jour heureux, c’est un jour où :

- Le chant du rossignol empêche le réveil de sonner
- Un ami perdu de vue depuis vingt ans vous invite dans sa villa à Miami
- Le soleil dessine un chemin de joie entre la maison et le bureau
- Un collègue effectue vos tâches laissées en suspens la veille
- Un chef cuisinier vous métamorphose en cordon bleu
- Votre secrétaire vous apporte deux croissants provenant de la meilleure boulangerie de la ville
- Votre patron vous prend sur-le-champ comme bras droit et vous accorde une augmentation fabuleuse
- Vous êtes l’unique gagnant au premier rang du loto
- Une femme superbe vous propose un voyage au pays des voluptés
- Le concierge de votre immeuble, un ivrogne aigri, vous sourit
- La poussière du salon s’envole spontanément par la fenêtre
- Vous inventez par hasard une formule magique pour transformer la farine en or
- Votre vieille voiture se change en bolide rutilant
- Vous découvrez les points H, I, J, présage sensuel
- Une masseuse tantrique vous offre une séance hebdomadaire à vie
- Votre chat, fidèle compagnon, rajeunit tout à coup de dix ans
- Vous parlez soudain couramment chinois, russe, anglais, espagnol
- Le journal télé du soir n’annonce que de bonnes nouvelles
- Votre fils, cancre invétéré, obtient son baccalauréat avec la mention très bien
- Vous maîtrisez subitement les subtilités de la physique quantique.

Vide omniprésent

Vide omniprésent
Tapi au creux du cœur
Gravé au fond de l’âme
Prêt à bondir de l’ombre
Il mord tel un renard affamé
Ses crocs plantés jusqu’à la moelle
Frère d’angoisse
Il ne s’éloigne jamais
Son désert est un miroir
Sa terreur contamine
Il pèse lourd de peur
Il creuse jusqu’au tréfonds
Allée des mille portes vers sa prison
Poupées russes emplies d’absence
Il s’enracine dans l’être
Le vide envahit la vie

Grammaire de la vie

Le temps se décompose
Entre le passé composé
Et le passé simple,
L’imparfait -
Quel manque d’indulgence,
Madame la norme ! -,
Le plus-que-parfait prétentieux -
Contrairement au parfait,
Si discret qu’il ne se conjugue même pas -,
Le futur antérieur -
Condamné par avance ? -,
Le libéré conditionnel -
Gare à la détention préventive ! -,
Le gérondif vieillot,
L’impératif péremptoire -
Médaille de la franchise -.

La vie se disperse
Dans le présent -
Piètre indicatif -,
Cherche une issue dans les articles,
Puis se fond, vaincue,
Dans l’indéfini.

L’homme caracole, s’écroule, se relève, persévère,
Noyé dans les pièges de la langue.
La grammaire grimace.
Qui guette, qui juge ?
Vie désaxée
Et syntaxe impavide
Se mélangent
En charabia volubile.
L’éternité résoudra l’équation.

Invalide amer

Le regard barbelé à hauteur de ceinture,
Condamné au fauteuil par le saut d’un cheval,
Il jalouse la vie de l’homme vertical,
Dans ce monde fiévreux, où grouillent les voitures.

Sa souffrance occultée sous une mine dure,
Il tient conversation au mur pendant le bal,
En rêvant de pouvoir jeter dans le canal
Sa carcasse abhorrée, raide comme une armure.

Assis sur la froideur d’un être de métal,
À côté d’amoureux, dont la joie lui fait mal,
Il demeure immobile ainsi qu’une sculpture.

Il implore la mort de mettre un point final
Au destin infesté de douleur qu’il endure,
Pour l’emmener danser dans ses contrées obscures.

17.1.10

Versant de la vie

Que diront les enfants non-nés
De nos agitations ?
Que deviennent nos palpitations
Sous le sable du temps ?

Vivre devant le regard de l’avenir :
Gesticulations grotesques.

La boue du quotidien englue l’essentiel.
L’esprit coupable de tragédie
Retourne la terre brûlée.

Prendre refuge dans la terre
Déterrer les fleurs des abattoirs
Dénoncer les angles
Déchiffrer la légende du ciel
Écouter la voix des arbres
Dans la patience des pierres.

Alors
Gorgé de sens
Coïncider avec soi
Au versant de la vie.

Pays des ombres

Ma mère est morte
Il y a sept mois aujourd’hui.
Elle ne me lisait pas,
Je n’écrivais plus.
Elle était si vivante !
Le crématorium a brûlé ma joie.
Mon cœur scande son absence.
Je lance les cendres de mes croyances
Dans la nuit tapissée de deuil.

Les mots sont revenus,
Disponibles, éloquents, forts.
Ils coulent désormais dans mon sang.
Je me voue à l’écriture.
Les lignes de ma vie
S’inscrivent en lettres noires
Sur le cahier de l’avenir.

Que m’importe le reste ?
Je m’absente du monde
Avec ma valise de vocables.
Ne feignez pas de m’attendre,
Je pars au pays des ombres.

Humanité effacée

Sur la planète bleue, l’air devient soudain lourd.
Dans toutes les contrées retentit le tonnerre.
Une fumée noirâtre empeste l’atmosphère.
L’épouvante s’inscrit dans le compte à rebours.

Le décor se déchire au rythme des tambours,
Dont le chant retentit ainsi qu’une colère.
Puis, bourreaux fracassants, les tremblements de terre
Creusent la cavité de l’horreur sans recours.

Les survivants s’enfuient sous une pluie amère,
Pour se précipiter dans de vastes cratères,
Où la mort engloutit leurs appels aux secours.

Sur les ruines tournoient des grappes de vautours,
Qui, grisés par l’odeur des fumantes viscères,
Viennent les dévorer de leurs becs délétères.

16.1.10

Thalamus

Blancheur
Ivresse virginale
Vertige devant le ravin
Emballage sous vide
En bas l’âge sourire
Absence de couleur
De coût ? Leurre !
Vacuité gratuite ?
Ère de remplissage
Rampe ! Au lit ! Sage !
Luxe de la privation
Saturation de graisses saturées
Régime hypocalorique
Contre hippopotame
Hip-hop, ta lame !
Thalamus !
T’as la muse facile

Ère de déraison

Dans la boîte à sottises
Le politique
Travesti en magicien
Ouvre une bouche en urne
Pour t’expliquer tes priorités

À l’aune des médias
La bronchite de l’idole
Amnésie les charniers

La bûche de Noël
Et la galette des Rois
Étouffent les chrétiens
Épargnent les pauvres
Saint Pierre, videur
Du club privé Le Paradis
Les indigents désâmés
Dansent sur les poubelles
Avec les rats pour DJ

Ère de déraison
Pied de nez de la lune


Note : Amnésie au vers 8, du verbe amnésier, et désâmés au vers 15 ne sont pas des fautes de frappe, mais des néologismes.

Oscillations mentales

Dans les yeux anonymes
Garde-fous quotidiens
Couverture
Rails de la bienséance
Renoncement calculé
Conscience muselée
Dedans et dehors inversés
Voile interne à la tête
Reflet de culpabilité dans la glace
Le poème est une fenêtre vers les possibles

Risque consommé
Sang fiévreux
Oscillation perpétuelle
Entre friche de la folie
Et calme conformité

Épuisement
Attrait de l’enfermement
Auto-trépanation
Troquer la liberté
Contre un parc aseptisé
Une chambre vide de moi
Fleurie de sourires convenus
S’absenter de son cerveau

Monstres funestes

Une gerbe d’éclairs déchire l’horizon,
Puis le ciel se déverse en une pluie poisseuse,
Tandis que la clameur de la foule nombreuse
Hurle à l’humanité son ultime oraison.

Des essaims de cafards surgissent des maisons
Pour se mêler aux rats dans le caveau qu’ils creusent
De leurs dents animées de rage fossoyeuse,
Pressés d’ensevelir l’homme en cette prison.

Des serpents recouverts de verrues venimeuses
S’assemblent sur la place en une troupe affreuse,
Habile à distiller son putride poison.

Un monstre gigantesque à la gueule en broyeuse
Abat les bâtiments, effrite les cloisons,
Dévore les blessés en grognant à foison.

15.1.10

Sable du temps

Le sable du temps
Rouille la carcasse.
Les années poissent.
Le corps s’effrite
En lente poussière.
La chair grimace son âge.

Parfois l’esprit piaffe
Une virgule de répit.

La mort pose le point final,
Puis tourne une page
Dans le livre du vivant.

Le sablier se renverse.
Une nouvelle vie s’écrit
Avec le sang des cadavres.
Le passé pourrit le présent.

L’avenir non-né recule
Devant les charognes universelles.

Voiture périlleuse

Je redoute un affreux carnage
Quand ma fée se met au volant.
Pour éviter un choc violent,
Ne restez pas dans les parages.

La tête ailleurs, elle sourit
Au paysage qui défile,
Puis, face au danger, elle pile
En prenant un air ahuri.

Son moniteur d’auto-école
S’est arraché tous les cheveux.
Ma belle fait ce qu’elle veut,
Tant pis pour les autres bagnoles.

Pour qu’elle se rende au boulot
Sans provoquer un nouveau drame,
J’offrirai demain à ma dame
La sécurité d’un vélo.

Pinceau fantaisiste

Aussitôt qu’elle est seule, elle prend sa palette
Pour colorer la vie, embellir l’univers,
Façonner un jardin en deux touches de vert,
Peindre un sourire en blanc quand le chagrin la guette.

D’un point jaune, elle donne un cœur aux pâquerettes.
Un trait d’or reproduit la fureur de l’éclair.
Une nappe de bleu représente la mer.
En deux notes de rouge, elle égaie ses pommettes.

Elle figure en noir un corbeau dans les airs.
L’orange forme un feu pour adoucir l’hiver.
Une robe d’argent lui compose une fête.

Elle pare de rose un horizon couvert,
Habille de marron la coque des noisettes.
Son pinceau fantaisiste enchante la planète.

Prière voluptueuse

Reine de mon bonheur, au visage impudique
Quand ma main te conduit au sommet du plaisir,
Pourquoi refuses-tu de me laisser cueillir
Les perles de douceur de ta vallée magique ?

À quel motif obscur dois-je ton air tragique,
Alors qu’il suffirait d’un éclat de désir
Dans le ciel orageux de tes yeux pour fleurir
Notre lit d’un bouquet de frissons magnifiques ?

Je t’en prie mon amie, cesse de te raidir
Quand ma bouche embrasée entreprend de saisir
Tes fruits de la passion au parfum érotique.

Laisse-moi t’emmener vers nos joies à venir,
Au lieu de t’entêter à me lancer des piques,
Pour que notre unisson entonne sa musique.

14.1.10

Blancheur bipolaire

Haro sur la blancheur !
Silence
Vide
Panne d’inspiration
Héroïne
Naïveté
Bouton
Fadeur écœurante
Ricanement de linceul
Drap d’hôpital
Festin d’hosties
Comédie du mariage
Cheveux décrépits

Oui mais
Hourra pour la blancheur !
Gourmande crème chantilly
Ivresse de la neige
Réconfort du coton
Liberté
Majesté du cygne
Douceur du sucre
Saveur du sel
Fleur de lys
Drapeau blanc
Pureté
Lait nourricier
Sourire éclatant

Bilan
Blancheur souffrance ?
Blancheur plaisir ?
Égalité
Blancheur bipolaire
Choisis
Tu as carte blanche !

Invente ton avenir

Agglutinement
Poussière

Tu achètes une grande valise
Tu la remplis de vacuité
Bric-à-brac lourd d’insignifiance

Hier ensevelit l’horizon
Ton fardeau te condamne à errer
Dans la poisse de tes peurs

Laisse les égouts du passé
L’univers entier
Tient dans une enveloppe
Inscris ton nom dessus

Avec ton bagage allégé
Prends le carrefour des possibles
Voyage sur la vie

Délivré de tes ombres
Invente ton avenir

Rendez-vous de la passion

Au rendez-vous de la passion, j’arrive toujours en avance,
Au rythme du refrain qui charme mon esprit,
Depuis que la tendresse en mon jardin fleurit,
Semée par mon amante habillée d’élégance.

Sur son corps de velours, mon visage s’avance,
Afin de butiner les grains de joie mûris
Dans la moiteur du lit, où l’amour nous sourit,
Témoin privilégié de notre connivence.

D’une main, je descends vers son ventre, où j’inscris
Le chemin vers son puits de plaisir, qui nourrit
Le bouquet de frissons, que ses cuisses cadencent.

Son extase achevée dans un berceau de cris,
Mon amie, animée de mutine éloquence,
S’active à me combler d’exquises récompenses.

13.1.10

Saveur de la vie

Panne d’inspiration ?
Qu’importe !

Pour étouffer l’angoisse,
Remplissez le gouffre d’abandon avec :

Un perroquet empaillé
Un train à vapeur
Une boîte de sardines à la tomate
Un disque de valses autrichiennes
Une scie à métaux
Une fenêtre sur la mer
Un dictionnaire d’idées reçues
Un discours politique
Un ours en peluche
Une biscotte réduite en miettes
Une lettre de Saint Jean
Une carte postale d’Italie
Un château en Espagne
Une plume d’ange
Un volcan en colère
Un paquet d’hameçons
Un trombone à coulisse.

Secouez vigoureusement.
Ouvrez.
Goûtez la saveur de la vie
Cuisinée par la main du hasard.

Vie de papier

Au bord du présent
Un moineau colore
De noir
La grisaille du ciel

La fadeur du jour et l’oiseau
Se rejoignent dans le poème
Au rendez-vous de la page blanche

Vie de papier
Composition infinie
Boucles en noir et blanc

Couleurs éteintes
Journée de cancer

Dehors le passé vide
Croise l’avenir mort-né
Squelettes des arbres
Dans le caveau de la ville

Blanche polissonne

Sur une portée de musique,
Au creux d’un cahier de chansons,
Une blanche au cœur polisson
Quitte la ligne mélodique.

Loin des rythmes répétitifs,
Elle gambade entre les croches,
Tandis que ses consœurs s’accrochent
Au milieu d’un refrain poussif.

Sautant par-dessus les silences,
Elle atterrit dans un solo,
Dont elle chasse un trémolo
Pour composer un air de danse.

Elle entraîne les instruments
Dans une sarabande folle,
Si bien que le thème s’envole
Jusqu’aux confins du firmament.

Perchée sur l’aile d’un nuage,
Elle accompagne les orages.

Couleurs poétiques

J’écris mes émotions en teintes de bonheur.
J’entoure chaque mot que je sors de ma tête
D’une touche expressive issue de ma palette,
Afin de refléter les accents de mon cœur.

J’accompagne l’amour d’un voile de blancheur
Pour qu’il sème la joie sur toute la planète.
Je pose un manteau bleu sur le ciel qui tempête,
De sorte qu’il retient son souffle de fureur.

Je peins de jaune un drap pour le soleil en fête.
Je couvre d’un point d’or les étoiles discrètes.
Je réserve le vert à la tige des fleurs.

Sur l’arc-en-ciel de vie, mon pinceau de poète
Compose un vêtement de perles de couleur,
Que j’offre à l’univers pour chanter sa splendeur.

12.1.10

Vieil atrabilaire

Cent quatre ans aujourd’hui ! Je suis en bonne santé, je n’ai pas à me plaindre de ce côté-là. J’ai acheté un gâteau d’anniversaire, mais je n’ai personne avec qui le partager. Tant mieux ! j’en aurai plus à manger. Mes soi-disant amis sont morts et enterrés depuis belle lurette. On peut dire que j’en ai vu passer des casse-pieds de tous acabits ! Je ne risque pas de les regretter. On devrait me remettre la médaille du mérite pour les avoir supportés aussi longtemps.
Louise n’est plus là non plus. Cela fait trente ans qu’elle est morte. On s’entendait bien tous les deux, on n’avait pas besoin d’avoir une vie sociale, comme on dit. Pour quoi faire aurions-nous invité du monde chez nous ? Pour déjeuner ? Ces satanés pique-assiette auraient bien été fichus de critiquer la cuisine de Louise, surtout que ce n’était pas La Tour d’Argent tous les jours à la maison, heureusement que j’ai l’estomac bien accroché ! En plus, soit les invités seraient venus les mains vides et cela m’aurait horripilé, soit ils nous auraient offert des fleurs, alors qu’il y avait plein de bien plus belles dans le jardin, soit ils auraient apporté un gâteau à la crème écœurant, auquel ils auraient à peine touché, et que j’aurais dû me retenir de leur enfourner de force dans la bouche, au lieu de quoi Louise m’en aurait servi trois fois par jour jusqu’à ce que j’en aie mangé la dernière miette. Bref, recevoir des invités, très peu pour moi ! Quant à se déplacer chez des gens, cela aurait été encore pire, j’aurais été installé moins confortablement qu’à la maison, j’aurais dû me tenir correctement, me forcer à manger des plats infects et peut-être même me farcir leurs albums de photos, avec leurs gosses rougeauds, qu’ils m’auraient présenté comme la septième merveille du monde.
Non, décidément, je suis bien chez moi. Louise me manque un peu. Mais de toute façon, les cinq dernières années, j’avais dû la placer dans une maison de retraite médicalisée, parce qu’elle avait la maladie d’Alzheimer et me menait une vie impossible. Alors finalement, elle est aussi bien là où elle est. Premièrement, elle ne souffre plus comme cela lui arrivait dans ses moments de lucidité, deuxièmement, elle ne me casse plus les oreilles pendant ses crises, enfin, je n’ai plus à supplier quelqu’un de m’emmener la voir chaque dimanche à la maison de retraite, qui est quand même à quarante kilomètres de la maison.
Quant à Paul, mon fils, cela fait près de quarante ans qu’il vit en Espagne. Il ne m’a pas téléphoné pour mon anniversaire, c’est bien normal, on ne se parle plus depuis près de vingt ans. Il ne me ressemble pas du tout, c’est un égoïste, il est avare et arriviste. D’ailleurs, je me demande s’il est bien de moi. Enfin, cela n’a plus d’importance maintenant.
Je suis heureux, seul avec Roxane, ma chienne, une bâtarde âgée de onze ans. Elle ne parle pas, ce qui lui évite de dire des âneries, et elle m’aidera à finir le gâteau. Elle a du diabète et une paralysie de l’arrière-train, la pauvre ! Quand je la vois se traîner du lit à la cuisine, cela me fend le cœur. J’espère qu’elle vivra encore quelques années, parce que jamais je ne pourrai me remettre de sa perte.

Angoisse du poète

Poète, tu tapisses les nuits
De pages noircies.
Que fuis-tu ?
Quelle angoisse t’étreint ?

Les mots, amis fidèles,
Demeurent à portée de plume,
Souples, intarissables.

Du labyrinthe de ton cerveau,
Tu récoltes des images
Pour couvrir la blancheur du silence.

Des égouts de ta mémoire
Au caveau de ton avenir,
Tu ramasses des éclats de vie
Pour construire le poème.

Tu traques l’inspiration,
La fleur d’espoir.
La perdre signera ta mort.

Quand la dernière vision
Se sera évadée de ton esprit,
Le néant t’ensevelira
Avec pour linceul
L’écran noir de ton imagination.

Blanc avenir

Je peins le monde en blanc,
La couleur de l’avenir.

La dame blanche,
Connue comme le loup blanc,
Montre patte blanche.

Je marque d’une pierre blanche
La nuit blanche que je passe
Avec une oie blanche.

Après mon mariage blanc
Avec un blanc-bec,
Je le saigne à l’arme blanche.

Dans cette histoire cousue de fil blanc,
Je franchis la ligne blanche.

Mettons les choses noir sur blanc.
Quelle série noire !
Ajoutons des notes de couleur.

J’achète au noir
La matière grise
D’un avocat marron,
Qui tire à boulets rouges
Sur le cordon bleu.
Je ris jaune.
Innocente comme la blanche colombe,
Je file me mettre au vert.

Règlement des droits d’auteur :
Exclusivement en or jaune,
Chèques en blanc refusés.

Solitude amère

L’homme au visage terne, accoudé au comptoir,
Cherche à noyer le temps, qui court sur la pendule,
Dans un torrent amer de whisky, qui le brûle,
Tandis que les passants s’éloignent vers le soir.

Loin de son amoureuse, il regarde pleuvoir
Le ciel, qui se déverse en gouttes minuscules
Sur la ville déserte au bord au crépuscule,
Pendant que le silence enfle son désespoir.

Au rythme de ses pas, son avenir bascule
Dans un marais d’angoisse, où, gauche funambule,
Il marche en s’écorchant sur le fil du rasoir.

Sur les rets de la nuit, ainsi qu’un somnambule,
Il erre en solitaire au hasard des trottoirs,
Avant de s’étouffer dans ses papillons noirs.

11.1.10

Au-delà des murs

I

Un enfant dans une cour d’école
Brimades quotidiennes
Récréation solitaire
Gris monotone alentour
Un mur à hauteur de rêve
Inaccessible
Œil accroché au faîte
Piste de décollage de l’espoir

Plus tard, il verra l’envers
Derrière, le cimetière


II

Un prisonnier dans une cour de promenade
Violences quotidiennes
Tours solitaires
Rouille fade autour
Un mur à hauteur d’évasion
Infranchissable
Œil rivé à la crête
Tableau pour cocher les jours

Plus tard, il sortira
Derrière, la ville dévastée

Vieux amants

Le parchemin de ta peau conte notre histoire.
Parfois une larme y creuse un fleuve,
Où se posent mes lèvres,
Vaisseau vers le rivage
Des voluptés fiévreuses.

Le ciel profond de tes yeux
Reflète les diamants de nos joies,
Cueillis sur le chemin de notre unisson.

Sur la page blanche de tes cheveux,
Nos soupirs complices
Fleurissent l’avenir.

Tes mains, oiseaux voyageurs,
Connaissent les secrets
Du labyrinthe de mes extases.

Ton ventre, jardin moelleux,
Abrite la source intarissable
De nos délices.

Ton sourire, serment muet,
Ourlé de nos souvenirs
Rayonne de nos lendemains.

Tendres palpitations

Amazone exaltée, ton sourire m’invite
À venir déchiffrer les cartes du plaisir
Dans ton œil, océan où germe le désir,
Accordé aux frissons de ta peau, qui palpite.

Tes doigts aventurés sur mon ventre suscitent
Une perle de joie, empressée de grandir
En ouragan brûlant, qui conduit mes soupirs
Au port des voluptés, où tes lèvres s’agitent.

D’un regard velouté, tu m’incites à cueillir
Le bouquet de baisers que ta main fait fleurir
Dans le puits de passion où tu nous précipites.

Puis ma bouche enflammée s’applique à te couvrir
De diamants de douceur, enivrantes pépites,
Afin de t’emmener à l’extase au plus vite.

10.1.10

Poète éternel

L’enfant gazouille. Papa, maman. Quel bonheur ! Quel génie ! Qu’il est précoce.
Il grandit. Il dit sa souffrance. Ses phrases poissent les adultes, comme une bouillie écœurante. Ton fils est capricieux et fabulateur, qu’il se taise ! Les monstres s’étouffent quand on les ignore, tandis que le verbe leur donne chair. Le temps efface les horreurs cachées.
L’adolescent erre dans ses turbulences. Qu’il aille en pension ! Ses blessures mêlées à celles de ses compagnons forment un marécage où il patauge en silence.
L’adulte, enfermé dans la douleur de ses obsessions, se dessèche. Comment ! Vous n’êtes pas en analyse ? Mais c’est indispensable, voyons, c’est le prix du bonheur ! Après avoir gaspillé sa jeunesse pour apprendre à se taire, il dépense son argent et son temps pour acheter l’écoute d’un professionnel, soixante euros contre trente minutes de hochements de tête compréhensifs. Qu’en retire-t-il ? Une oreille amicale et de la compassion gratuite constituent une thérapie bien plus efficace que toutes les psychanalyses et psy-choses du monde. N’achetez pas de psy-chose pour guérir votre psychose !
Entrez en poésie. Le poète est maître de ses mots, de ses silences, de son destin. Il exprime ses souffrances et ses joies avec ses propres vocables, sans limite. Il n’a rien à prouver, sa vie justifie par avance ses écrits. La poésie désamorce l’horreur, elle autorise l’excès. Elle transcende la société des convenances. Elle ouvre un espace de liberté pour communiquer de cœur à cœur, au-delà des codes. La poésie magnifie l’homme et lui offre un chemin vers l’éternité.

La saveur des années

J’ai cent trois ans aujourd’hui. J’ai perdu toutes mes dents. Qu’importe ! Mon sourire est plus large, enfin, quand je ne porte pas mes dentiers, mais je vous en parlerai plus tard. En ce jour d’anniversaire, mon premier souci est que je ne peux pas mettre cent trois bougies sur le gâteau d’anniversaire. Ou alors, il faudrait un immense gâteau, mais je n’ai plus d’amis pour le manger, et le terminer avec Julien, mon compagnon, nous laisserait tous les deux avec une belle crise de foie.
Le foie… de ce côté-là, les choses se sont dégradées, je l’avoue. Moi qui aurais pu avaler un bœuf avec ses cornes sans le moindre problème de digestion, je dois maintenant me nourrir essentiellement de bouillons, de légumes cuits et de laitages. Tant mieux ! c’est plus vite préparé. Et comme Julien est dans le même état, il mange ce que je cuisine sans se plaindre de ma nullité.
C’est vrai, quelle piètre cuisinière je suis ! Pour gagner une guerre, mettez-moi aux fourneaux de l’ennemi, et le tour est joué. On pourrait me soupçonner de toucher une prime sur les ventes de tisanes digestives, mais je vous assure que non. J’ai perdu de nombreux amis, disparus après un repas chez moi, sans jamais donner de leurs nouvelles. J’espère qu’ils sont seulement fâchés, je serais contrariée d’être responsable de leur mort. Enfin je suppose qu’on m’aurait prévenue si c’était le cas.
Julien mange son potage en ce moment, ou plus exactement il le lape avec de grands bruits d’aspiration. Il ne s’en rend pas compte, le pauvre, il est presque sourd ! Ainsi, nous nous dispensons de la corvée des conversations. Nous nous comprenons sans mot dire, d’un sourire édenté ou d’un regard. Julien et moi, nous nous ressemblons de plus en plus. Il a perdu sa dernière dent hier. Comme cela, nous sommes à égalité ! C’est bien plus pratique, finies les caries, les rages de dents. Avec deux dentiers bien ajustés, un en haut, un en bas, nous voilà parés pour des années, munis d’un sourire de jeunesse. Quant au regard, nous souffrons tous les deux de dégénérescence maculaire. Plus moyen de lire. Ce n’est pas grave, j’ai déjà tant lu dans ma vie que j’ai l’impression de connaître toutes les histoires. J’ai encore une bonne mémoire et une multitude de livres dans la tête. En ce qui concerne le journal, quand on voit - façon de parler ! -, les horreurs qu’on y trouve, autant se dispenser.
Alors que faisons-nous de nos journées, Julien et moi ? Mais nous vivons notre petit bonhomme de chemin, tous les deux, heureux d’être ensemble, dans la saveur des années, sans rien à prouver. Nous goûtons la douceur du temps qui passe, j’espère pour longtemps encore.
Ah ! je vous laisse. Julien m’appelle pour le dessert. Enfin, désormais, c’est le même chaque midi, deux cachets jaunes et un bleu pour lui, un comprimé rose et blanc, une gélule verte et un sachet de poudre grise à diluer pour moi. C’est notre fantaisie, il faut bien que nous nous différencions, lui et moi !

Sur ma tombe

Amis dilapidés
Fin de saison
Vie en solde

Bulle de silence
Faim d’ombre
Anesthésie
Les vocables et moi

Nuit nue
Festin des ténèbres
Le néant m’aspire

Sur ma tombe
Ne gravez rien
Posez un dictionnaire
Je choisirai les mots

Voyageur sombre

Le voyageur éteint sous sa mine crayeuse,
Avec pour tout bagage un serrement de cœur,
Traverse le wagon au pas de sa douleur,
Pour aller se tasser près d’une religieuse.

Dans le long défilé des heures silencieuses,
Il repasse en esprit la photo en couleurs
D’une femme envolée vers un traître bonheur,
Tandis que dans ses yeux palpite la veilleuse.

Le train chasse l’écho d’un unisson majeur,
Rongé par le poison d’un habile conteur
De destins enflammés d’étreintes merveilleuses.

L’homme aux sombres pensées, habillé de froideur,
Privé de son amante à la bouche soyeuse,
S’enfuit vers le marais d’une vie ennuyeuse.

9.1.10

Tarte au citron patricienne

Recette pour six aventuriers

Aujourd’hui, nous allons faire une tarte au citron. La semaine dernière, je vous ai appris à confectionner la pâte, vous êtes censés maîtriser cette étape. Si vous ne parvenez pas à la faire, parce qu’elle colle ou que vous avez séché le premier cours - mauvais élève, votre punition sera de goûter les plats de tous vos camarades, bien fait ! -, prenez des nouilles, des grenouilles, des écrevisses ou des pinces de crabe. La cuisine, c’est avant tout une affaire de goût et d’intuition.
Bien, passons à la seconde étape, la garniture. Prenez un citron. Six troncs ? Tant qu’à faire, réservez les feuilles et serrez-les. Ainsi, vous pourrez agrémenter votre dessert avec le bouquet de cerfeuil haché à la sortie du four, mais nous n’en sommes pas là. D’ailleurs, je parle de cerfeuil, mais comme la recette comporte du citron, vous pouvez très bien en faire six boulettes. Et si vous réussissez la tarte, mettez la ciboulette dessus à la fin avec le cerfeuil, sinon accompagnez le dessert des six boulettes, pour que vos invités vous excusent d’avoir fait une grosse boulette en leur proposant cette chose dégoûtante. À défaut de ciboulette, mettez de l’estragon. Si le dragon souffle trop fort, diminuez le temps de cuisson de la tarte et profitez-en pour faire un soufflé au fromage.
D’ailleurs, le soufflé au fromage est un plat très malin. Je vous explique. Quand vous avez peu de temps pour cuisiner et que vous recevez des invités systématiquement en retard, confectionnez un soufflé au fromage. Bien entendu, il sera retombé quand ils arriveront et ce sera immangeable. Comme ils sont polis, ils se forceront à le manger - vous tiendrez votre vengeance ! -, et vous, non seulement vous en ferez tout un fromage mais en plus vous ferez du boudin, ce qui vous fournira d’un coup de maître le plat principal et le fromage à servir après. Judicieux, non ?
Revenons-en à notre recette initiale, la tarte au citron. Pendant la première étape, vous avez étalé la pâte, vous en avez garni un moule, le pauvre ! Si vous avez remplacé la pâte par des grenouilles ou d’autres bestioles, débrouillez-vous ! En particulier, les écrevisses et les moules font mauvais ménage, ils se battent, c’est affreux ! Je vais quand même vous souffler la solution - ce n’est pas parce que je parle de souffler qu’il faut rappeler le dragon, finissons cette recette, je vous prie ! Donc, si vous avez opté pour des écrevisses, assommez-les avec des boulons avant de les mettre dans le moule. Continuons, vous avez étalé le fond de tarte. Ensuite - c’est la deuxième étape -, vous répartissez dessus les rondelles des six troncs, en vous dépêchant pour éviter qu’elles prennent racine. C’est un peu lourd, je sais bien, faites précéder de plats légers. Passons à la troisième étape, le fignolage. Ajoutez un morceau de fromage pour lier le tout, et parce qu’il serait dommage de perdre celui que vous n’avez pas mangé la veille. Puis posez une tulipe sur chaque rondelle de bois, c’est décoratif et délicieux. Enfin, enfournez trente minutes. Ne vous faites pas de souci, la pensée du fromage bercera les tulipes, et votre tarte sera une pure merveille. Dégustez-la dès la sortie du four, sinon les tulipes fanent et c’est moche. Bon appétit !

La semaine prochaine, je vous présenterai la recette de la goût j’erre au rock fort.

Métalangage de la vie

Silence blanc
Nuit en suspension

Champ de mots
J’habille les heures désertes
Avec les vocables de mes humeurs

Puissance du langage
Je m’invente
Je m’écris, je me crée, je me crie

Vertige de la gomme
J’efface les répétitions

Réécrire un ancien poème
Ouvrirait mon tombeau

Qui règne ?
Les termes que je choisis
Se crispent ou s’agglutinent

Je construis le métalangage de la vie
Pour apprivoiser le vocabulaire
Qui crèvera le néant

Pique-nique avorté

Le père charge la voiture.
La mère habille les gamins.
La famille prend le chemin
Du déjeuner dans la verdure.

Hélas ! le ciel pleut à torrents.
La fille taquine son frère,
Quand éclate un coup de tonnerre,
Qui met le conducteur à cran.

Il quitte brusquement la route.
Une vitre vole en éclats.
Le pneu avant gauche est à plat.
L’homme transpire à grosses gouttes.

Pendant qu’il répare l’auto
En insultant la terre entière,
La femme déguste une bière,
Les enfants mangent le gâteau.

L’homme descend de loin

Perché sur un cirrus, l’homme descend de loin,
Lassé du paradis au décor monotone,
Il se pose au milieu d’un étang, qui frissonne,
Il en sort épuisé, puis s’essuie avec soin.

Seul avec son reflet comme unique témoin,
Il prie pour que surgisse une belle amazone,
Mais, quand le soir approche, amer, il abandonne
Tout espoir qu’un humain vienne à brûle-pourpoint.

Éveillé au matin par l’orage qui tonne,
Il gémit sur l’horreur du sort qui l’emprisonne
Dans ce vaste désert hostile à ses besoins.

Quand paraît sous ses yeux un pinson qui fredonne,
Le bipède, séduit, entonne un contrepoint,
Avant de s’allonger, plein d’espoir, dans le foin.

8.1.10

Gourmandise patricienne

Recette pour quatre poètes

Faites une pâte brisée. Et puis non, quel gâchis ! Pourquoi la briser ? Reprenons, faites une pâte sablée. Oui, mais le sable… c’est fait pour s’allonger dessus, pas pour le manger ! Alors première option, partez à pattes en vacances sur le sable. Non ? Alors deuxième option, faites un pied de biche. Non ? Vous êtes un cuisinier difficile, vraiment ! Voici quelques options supplémentaires : pied de page, pied de nez, pied à coulisse…
Vous avez choisi ? Ce sera la base de la recette. Passons à la garniture, sauf pour ceux qui sont partis au bord de la mer. Ceux-là n’auront qu’à déguster le produit de leur pêche, étoiles de père, couverts, c’est-à-dire couteaux et fourchettes, oursins, oursdeux, ourstrois - selon leurs aptitudes en mathématiques -, etc.
Mets je mets gare ! Revenons-en à notre plat. Je vous propose de garnir votre base avec du fromage. Là encore, le choix est difficile, je vous suggère du bleu. À défaut, prenez du comté et du sonnet. Ou alors, du vert et de l’orange. Quoique, si vous optez pour l’orange, il est préférable d’ajouter des poires. Mais non, je ne vous prends pas pour une poire ! Encore une bonne idée, décorez de tranches d’andouille. En réfléchissant bien, limiter la garniture au bleu serait sexiste et royaliste. Alors, ajoutez du rose pour tordre le cou au sexisme et du sang de navet pour éradiquer les germes du royalisme. En fait, accompagner le bleu de tulipes roses est la solution idéale pour éviter d’un seul coup tous ces écueils. Si l’écureuil passe quand même, recueillez-le, cueillez des noisettes, offrez-les lui et revenez à la recette. Que vous êtes dissipé !
Nous avons donc premièrement la base, soit la pâte ou le pied, deuxièmement la garniture, le fromage, idéalement du bleu, troisièmement, l’accompagnement, au mieux des tulipes roses. Il ne vous reste plus qu’à assembler le tout, dans l’ordre des numéros mentionnés ci-dessus - il faut vraiment tout vous dire ! -, à laisser mijoter, cogiter, méditer, au moins une heure, pendant laquelle la pensée du fromage bercera les tulipes, puis enfin dégustez !

La semaine prochaine, je vous présenterai la recette de la tarte au potiron et sa variante, la baffe au vase carré.

Mots d’acier

Mes mots intérieurs
Sont d’acier, de feu, de glace,
Nourris de ma passion.

À peine sortis de ma bouche,
Ils mollissent,
Ils rouillent à l’air libre,
Ils se parent de convenance.

Je ne sais exprimer de moi
Qu’une copie décolorée.

Je veux équarrir les vocables
Pour qu’ils me disent exactement,
Avec mes turbulences,
Au-delà de la pudeur.

Mots impuissants

J’écris des mots pour les apprivoiser
Mais ils se dérobent
Le verbe me travestit, me filtre, me disloque

Je cherche les termes de l’urgence, de la nécessité
Mais ils s’évaporent sous mes doigts
Je tape sur mon clavier des lambeaux de phrases
Disloquées dans l’illusion de l’échange

Je compose en pensée le poème absolu
Celui qui contiendrait tous les autres
Mais mes vers prennent des voies divergentes
Ils effritent mon unité au vent versatile

Je dialogue avec les vivants
Mais mes paroles transparentes traversent leurs oreilles
Ils ne m’entendent pas
Ils me renvoient le miroir d’eux-mêmes vide de moi

Je m’adresse aux morts
Leur patience est infinie
Mes vocables pèsent de gravité
Mais les défunts ne me répondent pas
L’écho de ma souffrance écorche à peine le silence
Je demeure seule face au mur du néant

Enfant heureux

Éveillé le matin au port de l’innocence,
Il conserve en son cœur le sable mordoré
Du rivage où la nuit il va s’aventurer
Parmi les créations de ses contes d’enfance.

Il sillonne les champs avec un pas de danse,
Réchauffe d’un regard le vieil homme éploré,
Insuffle au vagabond la force d’espérer
Avec une caresse ornée de bienveillance.

Il compose un bouquet de bleuets dans le pré,
Puis l’offre au rossignol perché sur le fourré,
Afin que sa chanson redouble d’élégance.

Dès que le soir éteint le décor coloré,
Le garçon, l’âme en paix, le corps fourbu, s’avance
Vers l’île du sommeil, où son rêve commence.

7.1.10

Lettre à ma mère

Seule avec ma page vide de toi, je viens te dire des mots que tu n’entendras pas. Tu as quitté le monde des vivants, pour demeurer à jamais en mon esprit. Ta dernière année fut un chemin de souffrance. Impuissante, je t’ai vue perdre la mobilité, l’appétit, la mémoire, la parole, la raison. Aux abords de la mort, tu t’es rapprochée de Dieu. Au contraire, j’ai banni de mes pensées le Tout-Puissant, le Christ et toute croyance en des entités surnaturelles. Comment croire en un Créateur aussi cruel ? J’ai retrouvé les mots, mis entre parenthèses pendant cinq ans. J’ai repris la plume pour me livrer de nouveau aux démons de la poésie. Tu n’as jamais lu mes textes, ce n’était pas ton univers.
Toi, ma mère, tu connaissais la saveur de la vie, le parfum du plaisir et la morsure du chagrin. Tu suivais simplement ton chemin, illuminé d’amour conjugal et de bienveillance envers ton entourage. Moi ? Je luttais contre mes obsessions, mes fantômes, loin de toi. Ma mère, nous nous sommes peu connues. Nous avons passé fort peu de temps ensemble. Je n’ai pas assez appris de toi. Tu ne m’as pas transmis le goût du bonheur. J’ai poussé dans un marécage de blessures.
Mais je n’ai jamais douté de ton amour inconditionnel, comme tu n’as jamais douté du mien. Quelles que soient les voies dangereuses et les impasses que j’aie empruntées, tu ne m’as jamais condamnée. Aujourd’hui, en mon cœur, je te remercie encore de cela, c’est une ancre pour moi qui suis si peu enracinée.
Je suis revenue vers toi bien tard. J’ai essayé de t’accompagner jusqu’au néant final. Je m’y suis souvent mal prise, je me suis écorchée aux griffes de différends superficiels, j’ai suffoqué dans l’étau de la lassitude, j’ai trébuché dans les filets de l’égoïsme, mais je suis restée près de toi jusqu’au bout.
Ce soir, devant ma page déjà emplie de mon amour pour toi, je souffre et j’en ai honte devant toi qui n’existes plus que dans mon être. Car toi, tu savais dénicher un brin de joie dans un paysage de désolation. Moi, je garde cet amour gravé à jamais dans mon âme, comme une brûlure, comme un mur entre moi et cette vie que tu aimais tant.

Chaos punitif

Dans le jardin du ciel, Dieu joue aux osselets
Avec son fils Jésus aux cheveux en broussaille,
Lorsque sur un éclair surgit d’une futaille
Le diable accompagné de deux affreux valets.

Pendant que le Messie retourne à son palais,
Son Père et le démon, que la fureur tenaille,
Enchaînent des parties de poker, de bataille,
Entourés d’angelots, qui chantent des couplets.

Au terme du tournoi s’ouvre une immense faille,
D’où jaillit aussitôt un torrent de pierrailles,
Tandis que l’horizon se revêt de violet.

Son royaume broyé ainsi qu’un brin de paille,
Le Tout-Puissant se dresse au milieu des déblais,
Où des forces du mal ne reste qu’un reflet.

6.1.10

Calcul du bonheur

Le bonheur quotidien est égal à :

Le nombre des amis rencontrés
Plus les enfants cajolés
Plus les chats caressés
Plus les rossignols écoutés
Plus les fleurs regardées
Plus les crêpes de la grand-mère
Plus les sourires du caissier
Plus les siestes au bord de l’eau
Plus les poèmes composés
Plus les cartes postales reçues
Plus les chocolats dégustés
Plus les trésors (re)trouvés

Moins les rendez-vous manqués
Moins les pleurs provoqués
Moins les chutes dans l’escalier
Moins les retards du plombier
Moins les navets à la télévision
Moins les épis dans les cheveux
Moins les majorations d’impôts
Moins les pannes d’ordinateur
Moins les tranches de pain de mie brûlées
Moins le lait qui s’est sauvé
Moins les soufflés retombés
Moins les objets perdus.

Pour obtenir une approximation correcte en s’épargnant de fastidieux calculs répétitifs, on peut utiliser la formule suivante, appliquée à une journée arbitraire :
Le bonheur moyen est égal à :

Le nombre des fous rires
Multiplié par les peaux de banane évitées.

Mots de l’être

Au ciel l’étoile muette brille
Ses atomes comprennent le sens du cosmos
Dans le pré le cheval trotte
Sa chair sait le goût du vent
Devant la fenêtre l’arbre enraciné réside
Ses fibres sentent la longueur du temps
Au fond de la rivière la pierre pèse
Ses particules perçoivent la fraîcheur de l’eau

L’étoile, le cheval, l’arbre, la pierre
Demeurent dans le bonheur informulé
Le ciel, le pré, la fenêtre, la rivière
Connaissent la réalité universelle

Moi ?
Le verbe me construit
Je suis le fruit de l’alphabet
Je n’ai de vie que des lettres
J’existe en mots de l’être

Ode à la joie

Je cueille dans mon cœur un chapelet de roses,
Que j’envoie dans le vent pour dire jusqu’aux cieux
Ma gaieté, qui s’enflamme aux accents mélodieux
D’un pinson matinal, qui sur la haie se pose.

J’assemble les visions que mon esprit compose,
Afin de les transcrire en récits malicieux,
Que je conte aussitôt aux enfants, dont les yeux
Se parent de diamants, où le bonheur explose.

Je joue sur ma guitare une chanson d’adieu
À la mélancolie quand son étau vicieux
M’enserre entre ses crocs pour que je m’ankylose.

Plutôt que de sombrer dans le puits du sérieux,
Je sème sur mes pas des poèmes en prose
Pour célébrer la joie qui fleurit toute chose.

L’homme descend du mal

Perché sur un canon, l’homme descend du mal,
La mâchoire aiguisée, les yeux en mitraillette,
Brûlant de déverser sur toute la planète
Des torrents véhéments de son poison létal.

Il gouverne en tyran sur le monde animal,
Disloque le décor autant qu’une tempête,
Se compare au Seigneur avec sa grosse tête,
Que, pour combattre, il vêt d’un casque de métal.

Avide de pouvoir, jamais il ne s’arrête
De semer la terreur, de la mer aux comètes,
Afin de s’établir en maître sans égal.

Mû par son ambition, le bipède s’apprête
À ciseler sa loi en lettres de cristal,
Pour que sa volonté s’établisse en fanal.

5.1.10

Épiphanie

Épiphanie, faisons la fête !
Et pif Annie !
Épi fané
Tu veux la fève ?
Tu rêves !
T’en veux Annie, de cette nouvelle année ?
Et paf dans le nez !
Siffle le cidre bouché
Bouche grasse de frangipane
Frangin pas né, hélas !
Fête finie, fripée
Amis pas venus
Fève envolée
Annie déçue
Un an sera vite passé
Envie de fève reviendra
Fais vœu de vie, Annie !
Vive l’épiphanie prochaine !

Vole au vent

Les beaux cheveux que voici
Les vingt chevaux que voilà
L’écheveau vainc le vin
Le chevreau vint crever
Le ver chevauche le veau
La vache achève la chèvre

Vainqueur ? Vaincs, cœur !
Vingt culs cuvent vaincus au couvent
À boire ! Viens voir ! Vin de Loire
La voir sur le lavoir ! L’avoir ? Rêveur !

Le vin de lait crie Vingt !
Le vin de l’écrit, lève-le vers le vin vert divin
Le vin de l’ivresse délivre le verre
Levain de l’écrivain enivre le vers
Vertige du verre de vin
Verve du vers de verbes

Lèvres veulent du vol-au-vent
Valve vogue au vent d’hiver
Vague valse vite devant
L’ivraie veule souvent
Les vrais virent au vivant
Les vœux volent au vent

Télé-vulgarité

Sur le point de partir pour un jeu de télé,
La fille aux longues dents dit adieu à ses proches,
Se plâtre le museau, fourre dans sa valoche
Un livre pour frimer, deux litrons à siffler.

Entourée de tarés pressés d’éjaculer
Un venin prétentieux qui lui prend la caboche,
Elle file au jardin pour se dorer les loches,
Puis rentre quand sa peau menace de brûler.

Coincée entre un crétin au menton en galoche,
Et un baratineur qui lui fait du cinoche,
Elle prie qu’un gaillard vienne la cajoler.

Sitôt qu’un ambitieux au plan vicieux s’approche,
L’amazone futée l’incite à se soûler,
Afin que le public veille à le recaler.

Prisonnier sombre

À travers les barreaux, les rayons minuscules
D’un soleil refusant d’étaler sa splendeur
Aiguisent les poignards du chagrin dans le cœur
Du prisonnier atone au fond de sa cellule.

Son avenir broyé entre les mandibules
Du maître du destin revêtu de froideur,
Il regarde le temps passer avec lenteur
Sur les chiffres brillants d’une odieuse pendule.

Tandis qu’en son esprit s’éteignent les couleurs
D’un village égayé par des rosiers en fleurs,
Son futur s’évapore au bord du crépuscule.

Le canevas des jours s’effiloche en longueur,
Si bien que le poison de l’ennui s’accumule
En poisseux marécage, où son âme bascule.

4.1.10

Vertige du poème

Le poème est un être vertigineux. Il chante l’infini des possibles. Chaque mot élu forme un carrefour vers une multitude d’histoires. Comment choisir le mot juste ? Il faudrait explorer toutes les voies, chanter toutes les voix de la vie.
Le mot invente la vie. Funambule sur la frontière du verbe et de la réalité, je perds la raison. Il faudrait s’ancrer dans la vie pour ne pas s’encrer dans les mots, se centrer pour ne pas mourir de mots.
Les mots se glissent dans les interstices de la conscience pour en chasser le vivant. Ce sont des plantes vivaces, dont les racines détruisent tout ce qui vit autour. Les mots fossoyeurs bâtissent de beaux cimetières morbides emplis de poètes maudits.
Mais peut-être que si je repose ce mot dit pour en choisir un autre, je prendrai une autre voie dans le labyrinthe du destin. Peut-être que je prendrai un chemin de fleurs anonymes, parce que les mots auront disparu. Peut-être … chemin… disparu. Disparu.

Devant la vie !

Au ciel d’indifférence
L’étoile ricane d’éternité

Sagesse ?
Économie de gestes
Vie minuscule
Fourmi pensante

Entre cauchemar et joie
Une poussière d’étoile
Un grain de folie sablée
Un brin de rire

Flottement
Indécision létale
Condamnée pour manque d’audace
Au marécage du regret
Pourtant, une branche à saisir
La poutre ôtée de l’œil
Droit devant, sur les échasses de la vie !

Télé-réalité

Pour faire une série de télé racoleuse,
Prenez quelques naïfs empressés de quitter
Leur pâle quotidien pour un monde enchanté,
Trois mois dans un palace aux fêtes somptueuses.

Donnez aux candidats une allure flatteuse,
Afin qu’en les voyant, on se laisse emporter
Dans un songe éveillé pétri de volupté,
Près de ces imposteurs à la cervelle creuse.

Exposez à l’écran ces comédiens ratés,
Montrez la profondeur de leur avidité,
Leur sombre prétention, leurs alliances douteuses.

Quand arrive la fin du jeu des vanités,
Le fiel brille dans l’œil devenu mitrailleuse
De ces sots qui rêvaient de primes fabuleuses.

Valeureux couteau

Caché dans une poche au fond d’un vieux manteau,
Il cèle en sa mémoire un chapelet de drames,
Un message d’adieu transmis par télégramme,
Une fille égorgée sur le pont d’un bateau.

Plié sur ses secrets ainsi qu’un mémento,
Il mélange en son cœur le sang d’un crime infâme,
Une mèche taillée sur le front d’une dame,
Un amant découpé d’un album de photos.

Plutôt que de porter son cœur en oriflamme,
Il garde les reflets du passé sur sa lame,
En témoin silencieux, fermé comme un étau.

Intime compagnon, brillant tel une flamme,
Invité à trancher, il déploie aussitôt
Son être de métal, en valeureux couteau.

3.1.10

Variations temporelles

À portée d’absolu,
Une étoile luit,
Fanal d’éternité.

À l’orée d’une décennie,
Des étincelles de joie
Éclatent en rires multicolores,
Tandis que la fumée emporte
Les vestiges de l’an écoulé.

À la croisée des possibles,
Sur les murs de l’avenir,
Le spectacle explose en diamants de glace
Entre les yeux béants.

La tête enivrée d’espoir
Dans le décompte des heures,
En boucle de renaissance.
Demain déploie sa splendeur muette.

Sur le fil du présent,
L’œil trouble s’accroche
Au vent ivre du vivant.
Le néant bascule.

Réveillon lugubre

Un soir de réveillon, seule avec ma télé,
Je dédie mon poème à l’année qui remplace
Douze mois de chagrin, dont le feu me pourchasse,
De sorte que mon cœur continue de brûler.

Le programme navrant ne peut me consoler
De ma vie solitaire au fond d’un puits de glace,
Tandis que mes amis de naguère s’effacent
Des plis de ma conscience ornée de barbelés.

Quand le maître du temps aux mains griffues m’enlace,
Je vois en mon esprit un démon, qui menace
D’arracher mes espoirs pour les démanteler.

Au bord de ma fenêtre atterrit un rapace,
Pendant qu’à l’horizon commence à onduler
Le serpent de l’effroi pressé de m’immoler.

Voyages champêtres

Plutôt que de partir en de lointains voyages
Afin de découvrir des pays enchanteurs,
J’arpente la nature, où j’admire les fleurs
En écoutant chanter les oiseaux de passage.

Au lieu de me cogner aux barreaux d’une cage
Dressée par un démon qui sème la douleur,
Je compose des vers à l’encre du bonheur,
Avant de les offrir aux chats du voisinage.

Je cueille les chansons qui poussent dans mon cœur,
Pour former un bouquet, que je lance en hauteur,
De sorte que ma joie s’étend jusqu’aux nuages.

La forêt, le jardin, étalent leurs splendeurs
Pour égayer les pas de mes vagabondages
Au sein de ce décor plus brillant qu’un mirage.

2.1.10

Faille vers l’avenir

À fleur d’horizon
Une lune blanchâtre
Un soleil éteint

En bas
Le poids de l’impossible
Les mots brûlés
Sang figé
Impuissance

Le temps suinte l’ennui
Vertige
La clé se dérobe
La nuit ricane
L’arbre sait
Le verbe et la vie se fondent
À la frontière de l’action

Esquisse d’une faille vers l’avenir

Réveillon solitaire

Seule avec l’écran de télé,
Qui lâche un bouquet d’étincelles
Aux portes de l’année nouvelle,
Je retiens l’envie de hurler.

À défaut de dinde aux marrons,
De saumon fumé, de champagne,
Je trempe du pain de campagne
Dans une soupe au potiron.

Personne n’est venu me voir,
Je n’ai reçu aucun message.
Pour accompagner mon fromage,
Je savoure un vin de terroir.

Lorsque le jour se lèvera,
S’éteindra l’écho de la fête.
Avec de l’espoir plein la tête,
J’irai me lover dans mes draps.

Colère funeste

Crispée sur le volant, la gonzesse rigole
En doublant un loustic, qui rugit de fureur,
Si bien qu’elle répond avec un doigt d’honneur,
Tandis que son mari pionce dans la bagnole.

Le lardon à l’arrière enlève ses deux grolles,
Qu’il jette à sa daronne en riant de bon cœur,
De sorte qu’elle allonge un coup de poing rageur
Au moutard, qui réplique en la traitant de folle.

Excédée, elle appuie sur l’accélérateur,
Jusqu’à ce que soudain provienne du moteur
Un éclair escorté d’un bruit de casserole.

L’amazone, aveuglée par sa mauvaise humeur,
Beugle au lieu de freiner, alors les roues s’affolent
Pour écraser un gosse aux abords d’une école.

Mots tyranniques

Mots, tyrans de mes nuits, obsessions de mes jours,
Habiles à former un labyrinthe immense,
Où je perds la raison, quand vos lettres s’avancent
Pour capturer mon âme ainsi que des vautours.

Artisans du chagrin, orfèvres de l’amour,
Cessez de me plonger dans un puits de souffrance,
Parmi vos inflexions, qui brisent le silence
En éclats dissonants aussi brûlants qu’un four.

Emportez loin de moi vos accents, qui s’élancent
Sur vos lettres serrées en légion de démence
Pressée de m’étouffer en clamant ses discours.

Disparaissez de suite, afin que je commence
Une vie où l’effroi fera place à l’humour,
Sur un chemin de joie fleuri de troubadours.

1.1.10

Chère défunte

Depuis la mort de son épouse, le vieil homme se dessèche. Plus rien ne l’intéresse. Il vit en reclus, solitaire, emmuré dans sa tristesse. La nuit, il grelotte dans la froideur du lit. La journée, il se racornit assis dans son fauteuil, près de celui de sa femme, à jamais vacant. Tout lui pèse, le quotidien est devenu un fardeau, dont seule la mort le délivrera. Les repas devant son assiette solitaire, les soirées télévision sans personne avec qui commenter le programme, les magazines qu’ils lisaient ensemble à présent délaissés, tout hurle l’absence brûlante.
Le vieil homme ne puise aucun réconfort dans le souvenir de ses quarante années de bonheur. Il n’en tire qu’une aigreur contre sa vie présente, une acidité qui ronge tout ce qui ose vivre, alors que sa compagne n’est plus.
Sa mémoire le trahit. Le fil du temps pare la défunte d’un voile de sainteté. Le veuf a démêlé l’écheveau de ses souvenirs, pour n’y laisser que les fils dorés des moments de joie. Il a passé les heures grises au hachoir de l’amnésie. Il a oublié les désaccords, les silences, les colères, les reproches, les mensonges. Ces coupes franches dans le passé le mettent à l’abri du remords, il est persuadé d’avoir vécu un amour passionné, sans l’ombre d’un nuage, en mari adorable, auprès d’une épouse parfaite.
Personne ne se risque à le contredire. Ses amis, lassés de l’entendre ressasser sa tristesse, le délaissent petit à petit. Ainsi, le vieil homme demeure seul avec son chien, un bâtard qu’il malmène quotidiennement, parce qu’il faut bien que la colère s’exprime. Le chien, indulgent, supporte bravement les brimades. Il aime tellement son maître concentré sur son deuil, comme il l’était sur son travail lorsque son épouse partageait sa vie. De plus, l’animal est humble, il sait que le vieux, au lieu de l’estimer à sa juste valeur, le considère tantôt comme une vulgaire bête engoncée de balourdise, tantôt comme un fétu, une légère souillure sur le miroir de ses souvenirs heureux.
Le chien est au crépuscule de ses jours. Bientôt, le veuf sera complètement seul. Alors, le marteau du temps ornera le cou de l’animal défunt de la médaille du mérite. Le vieil homme pleurera son chien en plus de sa femme, mais trop tard.